Les semaines qui ont suivi
la débâcle de 1940 ne sont pas forcément très connues ou enseignées. Comme si elles n'avaient pas grand intérêt, comme si elles n'avaient pas d'incidences sur la suite. Or, comme le démontre brillamment
Pascal Chabaud, elles sont au contraire le fondement de tout ce qui va suivre, elles modèlent les quatre années jusqu'à la Libération : collaboration, résistance, Vel d'Hiv, déportations, milice, attitude de la police et de la population… tout découle de cette poignée de journées pendant lesquelles tout a basculé.
Mort d'un sénateur explore cette période riche, nous la décrit avec minutie, que ce soit au niveau des grands noms (on croise Pétain et Laval, par exemple) ou des petites gens. L'amorce des horreurs à venir est perceptible au détour d'une phrase ou d'un comportement. Et on retient son souffle, parce qu'en tant que lecteur de 2019, on sait…
Qu'il s'agisse de la vie quotidienne, des rationnements, des relations entre les gens, de l'antisémitisme [plus si] larvé, du désespoir des réfugiés poussés sur les routes de l'exode par la terreur de l'avancée allemande (j'ai d'ailleurs appris l'existence de camps de réfugiés), des derniers soubresauts de la République égorgée pour le bon plaisir de l'occupant, l'auteur dépeint ces moments avec justesse et rigueur.
Mais attention, l'aspect historique ne sacrifie pas l'enquête policière pour autant ! Un juste équilibre perdure tout au long du roman, et l'on s'attache aisément à Joseph Dumont, le flic perdu dans la tourmente politique, qui tente tant bien que mal de résoudre le mystère de la mort d'Étienne Ferrand.
La police scientifique, brimée et repoussée par des esprits sceptiques, doit reculer et laisser sa place si chèrement acquise à la brutalité et l'obscurantisme (si les balbutiements de la science au service d'une enquête vous intéressent, n'hésitez pas à vous plonger dans l'excellent
Les suppliciées du Rhône de
Coline Gatel).
Je salue également l'idée d'avoir commencé chaque chapitre par un extrait du Journal Officiel de l'époque, démontrant ainsi l'érosion rapide de tout l'héritage de la France des Lumières et du Front Populaire pour sombrer dans la haine et le nationalisme.
Bref, un roman passionnant, foisonnant d'anecdotes et de connaissances, ponctué de petites touches d'humour (avec le personnage de Nestor), qui se dévore comme n'importe quel polar.
À suivre absolument par la trilogie Sadorski de
Romain Slocombe, plus trash, plus violente, mais qui reste une succession logique pour voir l'Histoire autrement que comme on l'envisage habituellement.