Empire des chimères

Il la soigne et elle le guérit, il la berce et elle l'endort, il la soutient et elle l'élève. Chacun d'eux se sublime par la grâce et la souffrance de l'autre. Ils excèdent leurs propres capacités dans un jeu de fêlures en miroir.

- Mais il est parfois nécessaire d'aller où l'on ne veut pas.
- Faux, rien n'est nécessaire. Même lorsque l'on s'égare, on suit la trajectoire que l'on s'assigne. Il existe une raison même au coeur de l'arbitraire, un signe particulier dans la profusion? Nous ne sommes pas les instruments des forces qui nous dépassent, Jérôme. Nous incarnons cette force. Et la nécessité s'y plie.

On a jamais l'occasion de faire deux fois première impression. [...]
Ma mère avait l'habitude de dire qu'on ne se baignait jamais deux fois dans le même fleuve. Je présume que c'est une autre façon de présenter les choses.

Par l’intermédiaire d’Empire, les Américains entérinent les concepts d’uniformisation culturelle et de placement de produits. Les notions fédératrices du vivre-ensemble – cohabitation des nations, des religions et des langues – s’estompent au profit d’une ultime valeur hégémonique : l’achat. (p. 101)

Le siège de Lawney ressemble à un pavillon versaillais dont on aurait confié l’aménagement à un maître charcutier, un virtuose de l’andouillette qui aurait rassemblé ses maigres connaissances historiques pour reproduire un décor jupitérien.

La tendresse était parfois une malédiction plus terrible encore que les tourments de la fureur.

Le comportement des chasseurs se conformait peu ou prou à l’usage de la guerre : faire mal , éteindre la lumière dans les yeux de l’autre.

Une lueur opaque brille par intermittences dans leurs yeux. Ils ne bougent presque pas. « Ce sont des majestés en exil, se dit Séverine. Des rois asservis qui conservent même au cœur de l’esclavage, la dignité des jours anciens. (...) Non, ce ne sont pas des rois, mais des sentinelles.
Embusquées à la porte des Enfers. »

Les rumeurs allaient bon train. Les habitants de la baie le croyaient fou, les maitres d’école simple d’esprit. Ses camarades de classe étaient persuadés qu’il venait de la planète Mars, les médecins estimaient qu’il était juste souffrant, victime d’un dérèglement nerveux dont une poignée de cachets viendrait à bout. Ses parents, eux, pensaient qu’il souffrait un peu de tous ces maux. »

La mort n'est pas immobile. Elle se déplace dans un temps non défini, un espace privé de limites. Pour la trouver, il faut cesser de l'appeler, ne plus l'espérer. Surtout, il faut laisser place à l'hésitation. Tous les limiers connaissent ces instants où l'incertitude provoque le déséquilibre. Les sens en éveil, ils restent vivants pour trouver les corps, eux-mêmes habités par des hôtes répugnants et allongés sur un lit de mousse, figés dans une éternité dépourvue d'étoiles.