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3,72

sur 78 notes
Plonger dans ces 672 pages, c'est accepter de ne pas tout maitriser, de ne pas tout comprendre, de se laisser aller pour savourer ce roman, kaléidoscope vertigineux par les multiples facettes qu'il laisse entrevoir, un peu comme dans un film de David Lynch.

Du coup, les esprits cartésiens resteront sans doute sur le côté de la route. Moi, j'ai été littéralement hypnotisée par cette intrigue addictive qui mêle en mode poupée russe une tragédie locale ( la disparition d'une fillette, l'enquête pour la retrouver et son impact sur une petite communauté rurale française ) aux tractations politiques pour l'installation d'un parc d'attraction ici-même. Poupée russe qui devient complètement folle lorsqu'arrivent d'étranges chapitres sur le jeu de rôle Empire des Chimères ( le point de départ dudit parc d'attraction ) , nous immergeant littéralement dans une partie que jouent des ados du village de la disparue, mais aussi dans la conception même de ce jeu qui a rendu fou ces créateurs.

Tout devient fiction, tout devient réel. Antoine Chainas s'amuse à tordre le réel par petites touches fantastiques ( une boîte mystérieuse au contenu magique, une corneille blanche, un champignon invasif, de la moisissure, un scarabée pique-prune en voie d'extinction, une étrange créature homme-chien etc ).
Ces torsions s'accélèrent au fil d'un récit parfaitement maitrisé. Toutes les ramifications finissent par se rejoindre de façon très cohérente.

Mais cela ne s'arrête pas là. On tient là un roman étiqueté «  polar » qui renouvelle complètement le genre. le lecteur est considéré comme un être intelligent à qui il faut fournir du matériau pour faire carburer son cerveau. Là , tu as le bulbe en ébullition pour essayer de relier toutes les pièces du puzzle et ne pas te perdre dans ce labyrinthe. Surtout tu réfléchis. Car ce roman est profondément ancré dans son monde, celui des années 1980, époque charnière du désenchantement de la gauche française rattrapée par les réalités de la mondialisation et de l'ère du divertissement mondialisé, de Los Angeles jusqu'à un patelin rural français paumé.

Les personnages du roman ( une dizaine environ que l'on suit vraiment ) sont eux aussi en ébullition. Tous sont psychologiquement très fouillés, jamais linéaires, notamment le garde-champêtre Jérôme qui mène l'enquête sur la disparition de la petite Edith, rongé par son passé algérien, apaisé par la présence de sa femme lourdement handicapée.

Le tout est porté par une écriture d'une grande élégance, précise, travaillée, utilisant des mots très recherchés.

Original, brillant, déroutant, un régal !
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« Une fois que l'on est converti à l'usage intensif des livres, on ne peut plus se laisser tenter par l'ivresse cathodique. »


Je remercie sincèrement l'équipe de Babelio et les éditions GALLIMARD - série noire, pour m'avoir permis de découvrir, avec beaucoup de plaisir et une immense curiosité, « Empire des Chimères » et son auteur Antoine Chainas, lors de l'opération MC « Mauvais genre » d'octobre dernier.



Complexe et vertigineux.


Avec la meilleure des volontés, je serai bien en peine de résumer ce bouquin...
« Empire des Chimères » est assez compliqué et risque d'en rebuter plus d'un, cependant c'est un récit comme on en voit peu, magistral et maîtrisé, dense et intense.


« Fruit d'un travail de cinq ans, écrit par moments dans un état second » ; c'est l'auteur lui-même qui le dit, et cela ne me surprend guère au sortir de ce roman noir classé polar, mais surtout inclassable en réalité, véritablement atypique et peut-être même parfois abscons pour qui ne prendra pas la peine de s'immerger pleinement dans cette histoire relativement alambiquée.

C'est qu'il faut un minimum de concentration pour s'y retrouver, mais pas seulement. Il faut également - et absolument - accepter de se laisser transporter dans un univers sibyllin aux allures de labyrinthe sémantique, malgré le risque de se perdre totalement... Enfin, il faut oublier toute logique cartésienne au profit d'une certaine opacité et de l'hermétisme inhérent.

Varié, bigarré, aux multiples facettes, tout en restant cohérent : une réussite.
Également bourré de références littéraires ou cinématographiques dont le lecteur rendu spleenétique s'amusera probablement à retrouver l'origine.
Bref, il faut s'accrocher ! Et si on y parvient c'est un pur bonheur ;-)


« - le temps n'a pas d'espace et l'espace n'a pas de temps. Nous pouvons être aujourd'hui et hier, ici et là-bas en même temps. »


Un conte contemporain en mode gigogne, dont on devine bien évidemment que chaque infimes détails, chaque bribes de vie, finira par plonger inexorablement vers le même fleuve, certes long mais loin d'être tranquille...


Tragique, onirique et poétique.


Un « polar noir » donc - mâtiné de fantastique - mais résolument novateur, unique. Une revisite du genre terriblement originale.
Riche d'un vocabulaire particulièrement pointu (avoir un dictionnaire à portée de main est vivement recommandé), le récit, narré au présent et de fait très rythmé, vous déstabilise et vous chavire jusqu'a la frontière entre onirie et folie, entre fiction augmentée et troublante réalité... Chainas s'en est donné à coeur joie, à n'en pas douter.

Les personnages principaux (le garde-champêtre, au douloureux passé, et qui trouve malgré cela la paix de l'âme grâce à l'amour de sa femme paraplégique ; l'ancienne institutrice, vieille fille solitaire ; l'adolescent « perturbé » et obnubilé par d'étranges visions ; l'agent immobilier qui jalouse son frère ; ...etc...), tous extrêmement fouillés et vivants, voltigent loin des clichés, ce qui les rend d'autant plus captivants et attachants - pour la plupart du moins...


« Pour accueillir la surprise, il faut quitter l'attente. »


Avec ce roman kaléidoscope de Chainas, je pense à une phrase en particulier - du réalisateur Patrice Leconte lors d'un documentaire sur le regretté Jean Rochefort, que j'ai revu récemment - et qui exprime selon moi l'essence même de ce livre :

« La passion, qu'elle soit professionnelle, humaine, amoureuse,... doit être rouge vif. »
> Empire des Chimères est purement et simplement rouge vif =)


« Même si je ne sens rien, j'ai chaud pour toi. Laisse se répandre la langueur. »
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Lawney est le premier groupe de divertissement au monde. Ses studios produisent un film d'animation chaque année à l'approche des fêtes. La mécanique est rodée : la famille va voir le film, achète les produits dérivés et se rend au parc d'attraction. L'amusement est une industrie très rentable. Au début des années 80, la mondialisation s'accélère et le groupe projette de créer un parc en Europe. L'Espagne a un avantage, son climat, mais la France semble être un terreau propice à l'imagination. le gouvernement socialiste de l'époque n'est pas indifférent à cette manne financière et semble prêt à faire de nombreuses concessions pour accueillir les investisseurs. Lawney souhaite bâtir une ville dans le prolongement du parc, un urbanisme semblable à un décor de film et où tout est tourné vers la consommation. Mais la découverte d'un pique-prune, un insecte protégé, sur le lieu prévu pour l'implantation peut faire capoter le projet…

Lensil, une commune rurale, se situe au coeur de la zone d'aménagement retenue, ce que ses habitants ignorent. Il faut dire que le village est bouleversé depuis plusieurs jours par un drame. Une petite fille a disparu. L'enquête dirigée par les gendarmes ne donne rien. Les parents sont désemparés.

Dans le voisinage, trois adolescents de la commune se retrouvent le week-end pour jouer à un jeu de rôle : l'Empire des chimères. le jeu a été développé à partir des personnages mi-bêtes, mi-hommes, des films Lawney. C'est un succès commercial hors normes. Une nouvelle version d'Empire des chimères a été développée mais le groupe la a renoncé à la sortir. Des exemplaires piratés circulent pourtant sous le manteau. le jeu est particulièrement addictif. Les participants s'immergent totalement dans un univers imaginaire. La réalité rejoint la fiction qui à son tour rejoint la réalité. Les différents niveaux de réalité se mélangent, interagissent, l'espace et le temps s'effacent. le présent se dédouble une multitude de possibles.

« L'Empire des chimères » est une oeuvre à part dans cette rentrée littéraire. Ce roman m'a surpris par son originalité et sa complexité. Après en avoir tourné la dernière page, j'ai repris certains passages pour en saisir le sens global. L'auteur incorpore des éléments de la fantasy qui m'ont fait penser à Stephen King. Le récit mêle plusieurs niveaux de récit pour superposer différentes dimensions qui coexistent indissociables et dépendantes les unes des autres. De nombreux sujets sont abordés : l'industrie du divertissement, l'émergence de la mondialisation, la vie dans un village de la "France périphérique". Une oeuvre ambitieuse qui détonne dans la production française.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour leur confiance.
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Un village français qui se vide de ses commerces et de ses habitants. Trois adolescents qui trompent leur ennui en se passionnant pour un jeu dangereusement addictif. C'est vrai que dans ce petit bourg, il ne se passe jamais rien, enfin, jusqu'au jour où une petite fille de huit ans disparait.

Los Angeles Californie, un empire du divertissement rêve d'installer un parc à thème en Europe, pourquoi pas sur les terre d'un petit village français. Pendant que les négociations commencent, un écrivain américain transpire sang et eau pour donner une suite à un jeu de rôle à succès, un travail éreintant qui le mène au bord de la folie.

La France, le Monde et les années 80, rien que ça. Roman à l'architecture travaillée qui passe d'un petit patelin au milieu de nulle part aux beaux quartiers de Los Angeles, d'une réalité triste à un jeu de rôle morbide. Roman humaniste où l'on croise un garde champêtre bienveillant, une institutrice impliquée, quelques bouseux violents et des hommes de pouvoirs cyniques et corrompus. Roman historique couvrant deux décennies, de la guerre d'Algérie aux années fric Mitterrand.

« Les rumeurs allaient bon train. Les habitants de la baie le croyaient fou, les maitres d'école simple d'esprit. Ses camarades de classe étaient persuadés qu'il venait de la planète Mars, les médecins estimaient qu'il était juste souffrant, victime d'un dérèglement nerveux dont une poignée de cachets viendrait à bout. Ses parents, eux, pensaient qu'il souffrait un peu de tous ces maux. »

Roman à tiroirs dans lequel le lecteur nostalgique et ravi essaie de mettre des noms sur les hommes et les oeuvres qui servent de référence au romancier virtuose qui, lui, a semble-t-il beaucoup aimé « Twin Peaks » et lu Philippe K Dick et Jim Thompson (il y a pire comme références…). Enorme roman touffu et roboratif qui se lit d'une traite.

La richesse de la langue et la qualité de la composition enchante le lecteur. « Empire des Chimères » est un roman historique qui aurait pu s'appeler « 1984 » l'année où se situe l'action…Ah oui zut… le titre est déjà pris …mais c'était un roman d'anticipation, non ?
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Dans la catégorie inclassable, je demande Empire des chimères d'Antoine Chainas. Comme c'est le premier livre que je lis de lui, je ne sais pas si ce titre sort du lot ou si c'est un fait coutumier.
Toujours est-il que je me suis très rarement sentie partagée à propos de cette lecture. Ai-je aimé? En tout cas, je suis allée jusqu'à la dernière page. Pur masochisme de ma part? Non car il y est bon nombre d'éléments très intéressants dans cet ouvrage. Là où je me heurte à un dilemme, c'est que je ne suis jamais vraiment parvenue à déterminer le but visé par l'auteur.

Antoine Chainas nous embarque dans des intrigues qui, on le sent rapidement, vont se recouper. Son prologue offre une dimension quasi mythologique à ce qui va suivre. Ses récits sont montés de façon si alambiquées et labyrinthiques, mêlant le jeu de rôle éponyme au quotidien bousculé d'une petite bourgade rurale d'un coin perdu et boueux de France, ainsi que des négociations en vue de l'implantation d'un parc à thème avec une grande firme de divertissement américaine qui n'est pas s'en rappeler Disney.
D'ailleurs, il précise en guise d'avertissement : "Ce récit est une oeuvre de fiction. Par conséquent, toutes ressemblances avec des faits réels et irréels, toute similitude avec des personnes existantes et inexistantes, ne saurait être que fortuite et volontaire." Nous sommes prévenus dès le départ que les pages à venir risquent d'être déconcertantes. Et le jeu de rôle Empire des chimères fait partie de ces choses très bizarres, ramenant comme un leitmotiv une boîte noire ornée d'une corneille blanche sur le dos.

En fait, lire ce livre, c'est un peu comme regarder un film de David Lynch quand il se lâche vraiment. J'ai ressenti attraction et fascination pour le roman tout en ayant conscience de ne pas appréhender toutes les données qu'il apporte.
L'action principale se situe entre 1983 et 1984. Années Mitterrand et Reagan selon de quel côté de l'Atlantique on se situe. Ordinateur, four à micro-ondes, etc sont des termes qui tendent à se répandre, avec néanmoins une aura de magie qu'on ne peut atteindre (pas encore en tout cas). La crise économique dure depuis le premier choc pétrolier, renforcée par le second mais les mesures proposées de rigueur entrent en conflit avec des désirs de consommation. Consumérisme exacerbé par les chantres du libéralisme et qui se retrouve dans chaque extrait du traité de philosophie urbanistique de Sydney Taylor Lawney, l'équivalent Disney du roman.

Outre ces thèmes socio-économiques, Antoine Chainas aborde les champs de la folie et de la réalité. C'est certainement là que le livre entre dans des méandres ombreuses. Qu'est ce qui prouve que le réel est réel? Plusieurs personnages se confrontent à cette question, de façon plus ou moins explicite. Cet aspect m'a rappelé le film L'Antre de la folie, dans les années 1990, qui tend à montrer que la réalité n'est que le point convergent de la majorité. Angoissant et dérangeant concept.

Côté personnages, qui sont nombreux et diversifiés, l'auteur les a soignés. Tous sont bien incarnés, ont une profondeur qui les rend intéressants et crédibles: Jean, psychologiquement instable, Cindie sa copine gothique, Robert qui a été recruté par Lawney lui-même et lui voue un culte, Annabelle l'ancienne institutrice, etc. Beaucoup sont attachants. D'autres ... moins. Mon chouchou reste Jérôme, le garde-champêtre, ancien de la guerre d'Algérie dont l'amour de et pour sa Corinne a apaisé les cicatrices à l'âme.

Un dernier point du roman : sa richesse en matière de vocabulaire. J'ai découvert une foule de mots - merci le dictionnaire : leucosélophobie, théurgie, hyphe, usnée, cétoine, et bien d'autres. Que des termes faciles à replacer dans une conversation!

Bizarre, mystérieux, énigmatique et symbolique (rien que sur les champignons qui envahissent il y aurait beaucoup à dire), Empire des chimères est tout ça et plus encore. Il est classé parmi les policiers mais c'est là un choix subjectif car, comme je l'ai dit en introduction, il mériterait une catégorie à lui tout seul.

En conclusion, j'en reviens à ma question du départ. Ai-je aimé ce roman? Une chose est sûre, j'en ai apprécié beaucoup d'aspects. Alors peut-être qu'au fond, je l'ai bien aimé cet Empire des chimères. L'offrirais-je à des proches? Je ne crois pas; le pari serait trop risqué. Pourtant je le recommande aux amateurs d'histoires étranges.
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Je ressors un peu essoufflée de ce gros roman en 2 livres, 8 parties et 156 chapitres, presque tous courts, auxquels il faut ajouter un intermède (entre les livres 1 et 2). Je l'ai lu lentement, en prenant des notes dans les deux premières parties avant de laisser tomber : ces précisions me ramenaient sans cesse en arrière pour vérifier qui était qui, si tel événement avait bien eu lieu de cette manière ou si j'avais confondu ou mal compris...

Dès l'avertissement, avec une suite d'antithèses, Antoine Chainas annonce pourtant la couleur : « toute ressemblance avec des faits réels et irréels, toute similitude avec des personnes existantes et inexistantes, ne saurait être que fortuite et volontaire ». Ne pas être trop cartésien, donc… En exergue du Livre I, une citation en anglais de E. Cardon Walker datant de 1982 précise le contexte : cet homme (réel) est le créateur de plusieurs parcs Disney dans le monde. En exergue du livre II, une phrase de Ronald Reagan en forme d'avertissement fait référence à un Empire des chimères, et en exergue de chaque partie, une citation assez longue de Sidney Taylor Lawney, tirée d'un livre intitulé le Coeur de nos villes, pose les bases d'une cité (?) idéale. On en suppose l'auteur architecte, urbaniste ou sociologue avant de comprendre qu'il s'agit d'un personnage fictif, maître à penser de certains des protagonistes. Un narrateur à la troisième personne raconte, au présent, les faits qui se déroulent majoritairement dans la première moitié des années 80, avec des retours en arrière d'inégale longueur concernant la guerre d'Algérie telle que l'a vécue Jérôme, un des personnages principaux, ou encore la genèse d'Empire des chimères et les aventures de ses concepteurs. Cependant, la même scène peut-être racontée deux fois, par les yeux de deux personnages différents. Il arrive aussi que certaines scènes soient présentées au futur ou au conditionnel sans qu'on sache toujours si elles auront lieu ou si elles auraient pu avoir lieu. À trois ou quatre reprises, ce narrateur laisse la place à un « nous » collectif dont je me garderai bien de dévoiler l'identité.

Même si on voyage parfois à Los Angeles, l'action se déroule essentiellement à Lensil, village situé dans une région déjà sinistrée à cette époque. Trois ados se passionnent pour un jeu de rôle particulièrement addictif : ils possèdent une copie pirate de la deuxième version jamais commercialisée, Empire des chimères II. La disparition d'une fillette bouleverse l'ensemble du village. La gendarmerie intervient et n'apprécie pas trop l'enquête que Jérôme, le garde-champêtre, mène parallèlement à la leur. Autre sujet d'inquiétude, une moisissure, un champignon (achronalis anomalia) envahit les canalisations et les maisons ; le nom du parasite fait, me semble-t-il, allusion à une anomalie temporelle. Le lecteur comprendra que la moisissure contamine les deux univers : le « réel » et « l'imaginaire », sans que l'on sache trop lequel est lequel tant il est difficile parfois d'en tracer la frontière... Un consortium américain aimerait créer un parc de loisirs en Europe et, pour ce faire, contacte Henri Davodeau, originaire du village de Lensil où son frère Denis tient toujours l'agence immobilière familiale. Ce parc de loisirs s'inspirerait de la première version d'Empire des Chimères qui a connu un succès planétaire. C'est essentiellement à partir de ces divers éléments qu'Antoine Chainas élaborera son intrigue complexe et passionnante dont l'élément récurrent est une mystérieuse boîte noire avec, représenté sur le couvercle, un oiseau sur le dos.

J'ai mis du temps à me laisser prendre et à m'immerger dans ce foisonnant roman, très intéressant par bien des aspects. Il est à peu près impossible de le classer dans un genre défini. Il touche au fantastique : on n'éprouve pas plus de certitude que les protagonistes, on ne sait jamais si le passage réaliste qu'on est en train de lire ne va pas glisser vers un ailleurs improbable et effrayant, mais un ailleurs qui serait toujours ici et maintenant. Il prend parfois l'allure d'un roman policier, parfois l'intrigue se double d'une critique sociale (dans la mire de l'auteur : le consumérisme, la perte d'une certaine forme d'innocence ou de naïveté, l'uniformisation de la culture, entre autres), parfois la vie du village et les moeurs de ses habitants viennent au premier plan. Chainas lui-même parle de « difformité littéraire » et qualifie son roman de « rural noir quantique vintage » dans une intéressante entrevue issue d'un échange de courriels avec le blog Nyctalopes. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit là d'une oeuvre aboutie et parfaitement originale, aussi déroutante qu'attachante. J'en émerge un peu épuisée, mais enchantée !
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Décidément, en ce moment, je passe d'un texte pas facile (Idiotie de Pierre Guyotat) à un autre, dans un genre complètement différent, puisqu'il s'agit d'un roman noir : Empire des chimères d'Antoine Chainas. Bon, ça, c'est un sacré polar, rudement bien écrit, épais (658 pages) et l'intrigue est... comment dire… pour le moins complexe ! Et il faut l'avouer, je n'ai pas tout compris, loin de là ! Mais est-ce bien grave ? Difficile, au fond, de classer une oeuvre aussi dense, touffue, labyrinthique dans sa construction et qui s'en va, parfois, traîner du côté du fantastique. Une espèce de texte vertigineux et tentaculaire qui touche à un tas de sujets et que je vais donc avoir un mal fou à vous présenter (si j'y arrive!) Ne m'en veuillez pas si je tâtonne un peu.
L'action se déroule dans un petit village français situé au beau milieu de nulle part : Lensil.
Quelques figures vont très vite émerger de cet espace glauque et plutôt sordide : une instit' à la retraite, un plombier au chômage, une coiffeuse qui a perdu son chat, un directeur d'agence immobilière, un boucher, trois gamins qui s'adonnent à un jeu de rôle intitulé Empire des chimères, un garde champêtre qui fait office de gendarme dans ce petit village paumé. Bref, c'est tout un tas de personnages qui nous sont présentés. (Pas d'inquiétude, on finit par les mémoriser relativement facilement - et pourtant je ne suis pas très douée pour ça d'habitude...)
Or, un jour, une gamine, Édith, disparaît tandis qu'elle jouait à cache-cache avec ses copines… Meurtre ? Enlèvement ? Mystère ! La petite est introuvable...
L'action se situe dans les années quatre-vingt, époque où Mitterrand milite pour « une France plus juste, plus fraternelle ». En attendant des jours meilleurs, on entend plutôt parler de crise économique, de choc pétrolier, de mondialisation, de société de consommation.
La ville de Lensil, en passe de mourir, faute d'habitants, n'est pas près d'attirer âme qui vive avec une affaire comme celle-ci. C'est l'hiver, il fait froid, gris, et en plus, un champignon invasif a eu la mauvaise idée de s'épanouir dans de nombreuses maisons. Bref, c'est un vrai cauchemar que ce lieu.
« Les rares oiseaux qu'on y entend sont des corbeaux, la terre que l'on foule une stagnation opaque et les gens qui peuplent les environs les gardiens d'une prison invisible, sans plus de consistance qu'un nuage de poix.»
Bienvenue à LENSIL !
Allez, fuyons et partons pour les States car une autre partie de l'action a lieu là-bas, précisément là où a été conçu le fameux jeu auquel s'adonnent les gosses. En effet, on prépare non sans mal une nouvelle version qui, paraît-il, est encore plus terrible que la première. Certains disent d'ailleurs que des copies pirates circulent déjà sous le manteau...
Il faut savoir aussi qu'outre-Atlantique une grosse firme américaine de divertissement a des projets qui pourraient bien transformer les terres pourries de Lensil en or, en y implantant… un parc à thème précisément inspiré de ce jeu effrayant…
En attendant, les enfants jouent et jouent encore : ils sont Louis le lombric, Andy le loup arctique, Eddy la corneille blanche… et la réalité se mêle à leur fiction (à moins que ce ne soit l'inverse), tout s'imbrique, s'enchevêtre, se télescope et devient dangereusement poreux. C'est un jeu intense, subversif, immersif, plus qu'addictif et particulièrement violent. le but de ces gamins accros ? « Retrouver Eddy, une corneille albinos qui a disparu d'une ville appelée Simplicité. » Et les joueurs doivent se rendre sur les Épouvantables Terres pour la retrouver, des terres gardées par un certain Oskar…
Mais qui cherchent-ils, ces mômes, Eddy ou une certaine Edith que personne ne retrouve et que ses parents pleurent ? Et pourquoi ce charnier de chats ? Et que vient faire ce pique-brune, « la terreur des bétonneurs » ? Et c'est quoi cette boîte noire dont le couvercle « s'orne d'une corneille blanche les pattes en l'air » ? Et cette créature mi-homme mi-bête qui rôde dans la forêt, qui est-elle, d'où vient-elle ?
Allez, lancez-vous dans l'aventure, parce que c'en est une de lire un tel roman. Laissez-vous aller, lâchez votre esprit cartésien. Vous serez peut-être un peu perdu mais certainement pas déçu !
GO !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Lensil, village sis sur une grande plaine agricole vit une année 1983 aussi morne que le paysage qui l'entoure. Les terrains ne se vendent pas, les jeunes rêvent de quitter les lieux pour rejoindre définitivement la grande ville située à une heure de là, des moisissures envahissent les maisons et, pour ajouter une touche de drame à tout cela, la petite Edith disparaît durant une partie de cache-cache. Loin de là, de l'autre côté de l'océan, Lawney Industry, le géant mondial du divertissement, envisage de créer un parc d'attractions européen. Une opportunité pour Henri Davodeau, chef de cabinet du ministre du Commerce extérieur et originaire de Lensil où son frère Denis gère l'agence immobilière familiale, de faire d'une pierre deux coups : faire venir Lawney et ses capitaux dans une France qui aborde difficilement le tournant de la rigueur, et s'enrichir au passage en spéculant sur les terrains agricoles invendables du patelin.
Jusqu'ici, on a tous les ingrédients d'un attirant, certes, mais classique roman noir mâtiné de politique fiction. Mais Antoine Chainas y ajoute une teinte supplémentaire par le biais du jeu qui donne son titre au roman. Empire des Chimères est un jeu de rôle créé par une filiale de Lawney qui a connu un succès mondial. Il devait y avoir un second volet, mais le meurtre de l'un des concepteurs par son collègue devenu fou a poussé l'entreprise à l'abandonner. Cependant, une version pirate circule. Et, justement, trois adolescents de Lensil jouent cette partie inédite et terriblement prenante. Prenante à tel point que l'on en vient à se demander si le jeu fait écho aux événements qui se nouent à Lensil ou s'il s'agit de l'inverse.
On avait été un peu déçu par le précédent roman d'Antoine Chainas, Pur, trop lisse, trop attendu, loin du malaise que pouvait instiller chez le lecteur des livres de la trempe d'Une histoire d'amour radioactive. On retrouve dans Empire des Chimères ce Chainas inquiétant, prenant parfois un malin plaisir à mettre ses personnages dans l'embarras, jouant à faire se superposer les genres – polar, politique fiction, fantastique – avant de les laisser s'imprégner les uns des autres avec certainement, plus encore que dans ses précédents romans, l'ambition de porter un roman singulier et de placer le lecteur dans une position inconfortable qui le pousse à toujours se demander où il va et s'il a bien envie d'y aller. La réponse, pour moi en tout cas, est oui. On se laisse finalement entraîner dans ce maelström de personnages brisés, trop ambitieux, en quête de rédemption ou totalement désinhibés, d'époques et de mondes qui se chevauchent et se mêlent, dans les esprits de ces personnages, mais aussi dans les lieux. Derrière les grands traits tirés dont on ne sait jamais vraiment où ils mènent, Chainas sème indices et, au détour d'une phrase, quelques phénomènes inquiétants, des moments qui restent en suspens et viennent alourdir une atmosphère déjà pesante. Il s'appuie pour cela sur des personnages riches, adolescente rebelle, garde-champêtre opiniâtre, lycéen aux frontières de la folie, parents dévastés… et une entreprise de divertissement visionnaire qui pressent le monde interconnecté d'aujourd'hui et propose déjà une autre réalité, un monde parallèle dans lequel il est aisé de s'oublier au risque d'y disparaître.
Cela donne un roman noir politique, forcément, mais qui évite de faire la leçon, d'une grande intensité et qui constitue aussi, à sa manière, une drôle d'expérience immersive. Si l'on passe sur quelques menus détails agaçants comme cette manière de parler si peu naturelle du trio d'ados accros à Empire des Chimères, il faut bien admettre que l'on a là un roman ambitieux qui fait son office à la fois de divertissement et d'aiguillon. Et c'est avec plaisir que l'on retrouve ce Chainas-là.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Je ne sais toujours pas vraiment ce que je viens de lire. Mais j'ai adoré ça.

Empire des chimères est l'un des romans les plus étranges que j'ai pu lire depuis une décennie. Un roman à la fois fortement ancré dans la réalité et pourtant fantasmagorique. Improbable, inclassable. Et addictif pour le lecteur curieux, à l'esprit ouvert sur le (les) monde(s).

Voilà une expérience littéraire hors cadre, à la fois totalement immersive et constamment déroutante. 650 pages touffues mais à la lecture grandement facilitée par des chapitres courts, un des nombreux paradoxes de cet ouvrage.

Ouvrage, voilà bien un mot qui sied à cet édifice littéraire, qu'on pourrait souvent penser bringuebalant, mais qui s'avère d'un étonnant équilibre. Toujours instable, faussement chancelant, sans jamais s'écrouler.

Il y a de la magie dans ce livre. Par (une partie de) son sujet, par l'envoûtement du lecteur, par cette capacité de l'auteur à construire un récit improbable.

Vous résumer l'histoire ? C'est impossible. Je vais essayer de vous en donner quelques clés.

L'époque : les années 80. Pour ceux qui sont suffisamment avancé en âge comme moi, il y a un coté revival (j'utilise un mot anglais, assez provocateur quand on connaît le propos du récit).

L'environnement : le fin fond de la France, celle coincée entre l'immobilisme latent et la « modernité » qui toque à sa porte. Mais pas que, puisque l'intrigue passe également par les USA et voyage même parfois dans le temps par l'Algérie.

L'histoire : ahahah ! Dans l'excellente interview du non moins excellent blog Nyctalopes, Antoine Chainas dit avec esprit et humour qu'il a écrit un « rural noir quantique vintage ». Mine de rien, c'est tout à fait ça. Il y est donc question de la vie dans ce monde de campagne, mais aussi de jeu de rôle, de mondialisation, de cupidité, d'architecture, de violence, d'amour, de changement (et de tellement d'autres choses)…

Plus je vous en parle, plus je me dis que je risque de vous faire peur… Pourtant ce roman est FORMIDABLE.

Laissez-vous tenter, vous n'aurez que rarement le loisir de lire un roman à la fois d'une telle densité et pourtant réellement ludique. de vivre une telle expérimentation en immersion, entre tension, intéressantes réflexions sur la société et poussées oniriques.

Voilà bien un roman mutant et viral (les mots ont un vrai sens quand on lit le livre). A aucun moment, on anticipe où va nous conduire cette aventure, bien à la manière d'un jeu de rôle. Avec un Antoine Chainas en maître de cérémonie qui étonne, détonne et divertit.

Parce que ce roman non linéaire est clairement ambitieux, bien qu'il ne perd jamais de vue l'aspect divertissant et les émotions. C'est l'une de ses grandes forces.

L'autre force est la plume de l'auteur, travaillée, ciselée, personnelle.

Ressenti très personnel, dans son approche, je trouve Empire des chimères parfois à l'opposé de Pur, son précédent roman. Pourtant ils ont des points communs, mais avec EDC (ça fait marque déposée) j'ai senti que l'écrivain mettait plus en retrait ses idées et messages par rapport à l'histoire et aux personnages (mais elles sont toujours bien présentes). En clair, ce nouveau livre est davantage en prise avec les émotions, plus proches de ses personnages, plus en adéquation avec ce que j'aime lire. Des protagonistes qui ne trouvent pas leur place ou qui forcent leur destin vers des chimères.

Empire des chimères est une sorte de radiographie de la France profonde des années 80, une dure image de la société de consommation. Il peut aussi se lire avec un oeil un brin nostalgique (et pourtant l'auteur ne dit jamais que c'était mieux avant, un paradoxe de plus).

Livre monde, livre microcosme, voyage dans l'espace et le temps, très noir et parfois lumineux, foisonnant et ludique, qui touche et qui fait réfléchir, Empire des chimères est un livre aussi invraisemblable qu'authentique. Fantastique, dans tous les sens du terme, par un Antoine Chainas inspiré.

Peu d'auteurs sont capables de sortir un tel roman, ou alors en pire.
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Waouh ! Un gros roman noir parfaitement réussi, qui prend le temps de présenter ses personnages, leur vie et leur psychologie, qui leur donne de l'épaisseur. Qui prend le temps de dérouler une intrigue bien ficelée, avec une juste dose de tension sans être trop oppressant ni horrifique, une dose de fantastique, et une bonne dose de sentiments humains. Un drame succède à l'autre dans une mécanique implacable.
Dans chimère il y a monstre, et beaucoup de l'étrangeté de ce livre repose sur l'irruption de personnages zoomorphes issus des dessins animés et du jeu de rôle.
Dans chimère il y a aussi illusions. Illusion de la richesse et du changement de vie par la spéculation. Il y a une critique du tournant consumériste de la société dans les années 80, l'ère du fric, au détriment du merveilleux. Car dans le village perdu de Lensil (« le trou du cul de l'Europe »), entouré de champs de betterave, les problèmes viennent du projet d'implantation d'un grand parc d'attraction par un géant du divertissement américain (dont le nom se termine par ey, dont le siège est basé à Los Angeles, où ils ont déjà construit un parc d'attraction, ça ne vous évoque rien ?).

Je ne peux que vous encourager à lire assez rapidement ses 700 pages, pour ne pas perdre de mémoire les nombreux indices que l'auteur sème depuis le tout début de son récit jusqu'au dénouement. Dénouement qui déstabilise nos esprits cartésiens. Et ça, j'adore !
Car l'intrigue est un ruban de Möbius. Ce ruban fermé, qui, lorsqu'on le parcourt sur une face, fait que l'on arrive progressivement au même endroit sur l'autre face, sans aucune rupture. Délicieuse et vertigineuse abolition de la frontière entre la réalité et le jeu de rôle, entre le passé et le présent, entre Lensil et Los Angeles. Ou pour le dire comme l'un des personnages, « le temps n'a pas d'espace et l'espace n'a pas de temps. Nous pouvons être aujourd'hui et hier, ici et là-bas en même temps. »
Enfin et surtout : Antoine Chainas écrit vraiment très bien. Une écriture ciselée, très juste, précise, riche, envoutante. Il y a des scènes très fortes, comme lorsque Jérôme voit se superposer des souvenirs de la guerre d'Algérie et de la chasse.
Bref. C'est admirablement pensé, construit, écrit. Un coup de coeur absolu !
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