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Citations sur La Chambre (24)

Il vivra dix ans et trois mois. Mais toute vie achevée est une vie accomplie : de même qu'une goutte d'eau contient déjà l'océan, les vies minuscules, avec leur début si bref, leur infime zénith, leur fin rapide, n'ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir, et les agrandir pour les raconter. L'enfant de la Tour est un vieillard parce qu'à son échelle il a tout vécu. Il ne lui reste ni illusions ni appétit. Sa mesure est comble.
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...les fournées de la mort étaient souvent des fournées de hasard, on ratissait large - les rigolos avec les pas-marrants, les purs et les impurs, les gauchistes avec les droitiers, les natifs de l'Aube avec les natifs de l'Orne, les Parisiens avec les Savoyards. " Y a-t-il guillotine aujourd'hui? - Oui, car il y a tous les jours trahison"...La roue tourne, et en tournant elle écrase; il faut du sang dans le pressoir: "Certains y teignent leurs piques, d'autres leurs mouchoirs, leurs mains.L'exécuteur, étonné de l'empressement de plusieurs à y tremper leur sabre, s'écrie:"Attendez donc, je vais vous donner un baquet où vous pourrez les tremper plus aisément". (page 156)
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La bêtise "au commencement", la paresse, la négligence ? Le jaune, le beige, le fadasse ? Allons donc ! Le rouge oui. Le sang. Au commencement était le sang. La haine. La violence, la guerre, le crime ; puis la revanche de la défaite, le châtiment de l'assassinat ; et la revanche de la revanche, le châtiment du châtiment...
Tuer était bon, les hommes s'aperçurent que c'était bon - agréable, facile : il n'y fallait que du sentiment... Tous les lieux, tous les outils faisaient l'affaire ; quant aux prétextes, on n'en manquait jamais : race, religion, parti, nation, autre. Les hommes savaient pourquoi ils tuaient ; ils comprenaient aussi, même quand ils le regrettaient, pourquoi ils mouraient : chacun était l'autre d'un autre.
Mais leurs enfants, qu'est-ce qu'ils comprenaient les enfants ? Des enfants qui ignoraient jusqu'à leur nom, et ne distinguaient pas leur corps du corps qui les avait portés, et ne séparaient pas encore le dedans du dehors, et ne démêlaient pas l'amour de soi de l'amour du prochain, et se fondaient dans l'univers comme un sucre fond dans l'eau, les enfants ne comprenaient rien. Ils ouvraient des yeux étonnés. De grands yeux d'ombre. Fixaient le ciel, ou les murs. Fuyaient dans le ciel, rentraient dans le mur. Et c'était le ciel qu'on fusillait, le mur qu'on étranglait.
Ainsi périrait un jour la chambre fermée. Lentement, très lentement, elle disparaîtrait au fond des yeux d'un enfant. Lentement, avec l'enfant étouffé, la chambre asphyxiée.
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Possible. Normalement, nous, en bas, nous n'avions pas plus affaire aux économes qu'aux cuisiniers; à part un ou deux garçons d'office qu' on apercevait au moment des repas et les porte-clés, on ne voyait aucun des "permanents"; ce bonhomme-là - Coru ou Lelièvre, je ne sais plus -, je l'avais recroisé dans une cour dans la maison... Les draps, en tout cas, sans compter les mille cinq cents serviettes ou torchons! Les toiles du rez de chaussée, on nous les changeait deux fois la semaine. Rien à redire sur le principe. Sauf que, dans nos quatre lits, venaient coucher toutes sortes d'hommes; même des traines-misères, si contents d'être nourris qu'ils se portaient volontaires plus souvent qu'à leur tour! Tous égaux devant la Loi, c'est que, dans un lit, un indigent compte pour plusieurs : ces pauvres diables ne venaient jamais seuls, comprenez-vous, ils amenaient leurs "habitants", poux, puces, punaises... Et je ne vous parle pas de leurs éruptions militaires, ni de leurs catharres glaireux! Par la suite, je dormais assis; assis à la table, la tête dans les bras : dans mon métier on ne badine pas avec l'hygiène.
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Les étoiles sont les seules fleurs qui lui restent. Des fleurs coupées. Sans queue ni feuilles. Des têtes de fleurs. On ne peut pas garder des fleurs sans tige : plus d’eau, plus de sève, plus de sang. Des têtes sans tige, on ne peut pas les sauver.
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Pour jouer avec les fourmis, pendant quelques jours, l'enfant est sorti de sa léthargie. Il multipliait les expériences : soufflant sur une solitaire pour lui faire passer la frontière en aérostat, la porter, à travers les airs, d'un carreau à l'autre ; ou disposant de menus obstacles sur le parcours d'un bataillon pour l'obliger à emprunter des chicanes ou contourner des redoutes ; écrasant même une innocente à seule fin d'admirer son cortège funèbre : il est le dieu des fourmis.
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Néanmoins, il a remarqué la fourmi. C'était un jour où, par extraordinaire, il mangeait sur son bureau ministre : on lui avait apporté une jatte de crème anglaise et un compotier de blanc-manger, il avait besoin d'une surface plane et de sa cuillère d'étain pour y goûter. Sur le maroquin vert, il a vu courir une fourmi. Il n'a pas peur des fourmis noires. Elle est redescendue par le pied de la table, où circulaient déjà ses congénères, et s'est dirigée vers la tourelle aux pigeons. Accroupi pour mieux la suivre des yeux, l'enfant a vu passer, sous la porte, de minces colonnes qui processionnaient sur les dalles de pierre et dans les rainures du bois ; jusque sur le bureau, où, courant parmi les restes, elles escaladaient des trognons pourris et se chargeaient de fragments de croissants : la fourmilière et ses oeufs devaient être dans la tourelle, hors de vue, hors de portée, mais la chambre était leur garde-manger.
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... dès que le panier des cuisines a été posé près de la porte basse par le père Gourlet (les commissaires, qui font du zèle, viennent d'interdire aux garçons-servants de monter), l'enfant - qui ne se donne plus la peine de sortir son couvert du panier, ni de l'installer sur son bureau - attrape le pain, le fromage, et quelques morceaux de viande qu'il emporte avec les doigts pour les manger dans "sa caverne" à l'abri....
... après, il repousse avec soin les miettes et les débris jusque dans la ruelle du lit, prend dans ses bras son oreiller familier et se recouche autour, ramassé en chien de fusil. Il dort, dort encore, et redort. A midi comme à minuit. Est-ce qu'aujourd'hui est hier ?
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Finalement, ce qu'il préfère, c'est le tabouret de paille près du poêle (il y reste assis des heures entières à écouter les flammes ronfler), et son grand, son immense lit. Le reste, commode, secrétaire, fauteuils, il ne s'en sert plus, ne s'en soucie plus : il vit, lui, "l'explorateur", entre un tabouret et un lit. Lit-capharnaüm, poubelle et bateau, terrier, bauge, cher-grand-fond : au milieu, dans le creux de la couette, avec les draps sales, les couvertures plissées et le gros édredon, il s'est fait un tout petit nid. Quelle que soit l'heure, il y retourne, s'y couche en rond. Il lui arrive même, de plus en plus souvent, d'y apporter ses provisions, comme un animal...
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Tuer était bon, les hommes s'aperçurent que c'était bon - agréable, facile : il n'y fallait que du sentiment... Tous les lieux, tous les outils faisaient l'affaire ; quant aux prétextes, on n'en manquait jamais : race, religion, parti, nation, pour être "l'ennemi" il suffisait que l'autre fût autre. Les hommes savaient pourquoi ils tuaient ; ils comprenaient aussi, même quand ils le regrettaient, pourquoi ils mouraient : chacun était l'autre d'un autre.

Mais leurs enfants, qu'est-ce qu'ils comprenaient, les enfants ? Des enfants qui ignoraient jusqu'à leur nom, et ne distinguaient pas leur corps du corps qui les avait portés, et ne séparaient pas encore le dedans du dehors, et ne démêlaient pas l'amour de soi et l'amour du prochain, et se fondaient dans l'univers comme un sucre fond dans l'eau, les enfants ne comprenaient rien. Ils ouvraient des yeux étonnés. De grands yeux d'ombre. Fixaient le ciel, ou les murs. Fuyaient dans le ciel, rentraient dans le mur. Et c'était le ciel qu'on fusillait, le mur qu'on étranglait.
Ainsi périrait un jour la chambre fermée. Lentement, très lentement, elle disparaîtrait au fond des d'un enfant. Lentement, avec l'enfant étouffé, la chambre asphyxiée.
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