Je ne surprendrai personne en affirmant qu'il y a, dans une carrière d'enseignant, des élèves ébouriffants, exaspérants ou simplement épatants de drôlerie ou de gentillesse, que l'on croise et que l'on sait, très vite, inoubliables.
Bélhazar fut de ceux-là qui, à deux reprises, croisa la route de
Jérôme Chantreau, comme élément perturbateur de l'une de ses classes d'abord, comme meilleur ami de son beau-fils ensuite. Une troisième occasion vint le rappeler à lui, terrible, déconcertante, violente : interpellé par les gendarmes, il mourra d'une balle dans la tête, une balle tirée de sa main, d'une arme lui appartenant. Mi-fasciné par cette histoire à l'immense potentiel romanesque, mi-poussé par les parents du jeune homme devenus de proches amis, l'auteur s'est attelé, dans la douleur et les vents contraires, à la tâche herculéenne de rendre à ce bel enfant du hasard sinon la vie, du moins le reflet le plus exact possible de sa réalité. « On ne peut pas mourir quand on est jeune et qu'on sourit comme ça. »
J'avoue être entrée sur la pointe des pieds dans ce roman qui n'en est pas tout à fait un, pas franchement à reculons, mais peu s'en fallait. J'étais tombée sous le charme de la plume ample, généreuse, racée de
Jérôme Chantreau en savourant à pleines mirettes
Les enfants de ma mère, son deuxième livre, mais j'avais peiné à terminer
Avant que naisse la forêt, étouffée de verdure et de délires qui m'avaient échappé. Quel bonheur de se laisser à nouveau embarquer! Portant à bout de bras cet enfant lumineux et fascinant, l'auteur nous invite à le suivre dans l'intimité même du travail d'écriture en marche, mieux, dans la progression de l'homme vers sa maturité, du professeur vers ce statut d'écrivain qui l'attire et l'effraie. Là où il croit porter au jour une autre vérité sur l'histoire de cet adolescent à nulle autre pareil, c'est
Bélhazar qui l'accouche de sa propre destinée, le menant de sa main sûre et légère d'enfant qui joue en toute confiance. Plus il enquête sur sa mort, plus il prend l'ampleur de sa vie, forte, intense, rayonnante, une vie de « Regardeur de soleil ». Plus il en parle, mieux il le dit, se dépouillant pas à pas d'une forme d'arrogance, de la certitude de tenir un bon sujet, gagnant, par l'humilité retrouvée du pèlerin en marche, cette proximité sans apprêt qui fait la magie des plus belles rencontres. Et c'est là que
Jérôme Chantreau nous touche, c'est là qu'il nous cueille, nous laissant, à la fin de notre lecture, avec la sensation d'avoir eu cette grande chance, à ses côtés, de rencontrer, à notre tour, à des milles et des milles de tout cliché connu, une sorte de Petit Prince qui, en guise de planète, aurait eu un jardin et aurait préféré les lapins aux renards.