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Citations sur Joe DiMaggio : Portrait de l'artiste en joueur de bas.. (1)

C’était un chevalier merveilleux dans un sport qui paraît presque médiéval par sa lenteur et la surabondance de ses rituels. Des hommes vêtus d’un uniforme qui ressemble à un pyjama de flanelle s’adressent, tels des singes intelligents, des signaux de querelle, tout en frappant une balle assez dure pour vous fendre le crâne. Le but du jeu consiste à marquer autant de points que vous le pouvez tout en empêchant l’autre équipe d’en marquer. Sa bizarrerie et sa fureur naissent de l’immensité du terrain par rapport à la surface réduite d’un diamant de baseball, qui rappelle l’épicentre d’un tremblement de terre et où l’on trouve des voltigeurs, des coureurs, un lanceur, un receveur, un frappeur et plusieurs sacs de toile blanche. Le frappeur, armé d’une massue en bois poli, évolue au-dessus d’une plaque minuscule qu’on appelle le marbre, et s’efforce d’en flanquer un grand coup à la balle en cuir cousu que lui expédie un autre type en pyjama – le lanceur –, debout sur un monticule à une soixantaine de pieds du marbre. Si le frappeur réussit son coup et que les voltigeurs ne parviennent pas à rattraper la balle dans leur gros gant de cuir, il va faire tout le tour du diamant en courant et regagner le marbre, marquant ainsi un point. Tels sont le mystère et l’arsenal du baseball, avec ses révolutions quasi interminables autour d’un bout de pelouse artificielle en forme de diamant, capables d’envoûter trois heures durant un stade rempli de cinquante mille âmes. Tout cela a peut-être quelque rapport avec la folie ou une sorte d’hallucination collective. Mais ce qui constitue le véritable drame de ce sport trouve sa source dans le mélange qui lui est propre de sentiment collectif et d’isolement, ou de solitude. L’équipe est une communauté qui fonctionne à la façon d’une cruelle toile d’araignée pour emprisonner le frappeur dans ses fils et l’empêcher de progresser sur les bords du diamant. Le frappeur est toujours seul dans sa “boîte”. Il aura vraiment eu de la chance si, au cours d’un match, il est parvenu à avancer d’une ou deux bases. Mais les chances ne sont pas de son côté. Il lui faut affronter le vent, le soleil, les lazzis de l’équipe adverse dans sa casemate, les hurlements et les rugissements de la foule, sans compter la vélocité de la balle.
Peut-être une fois par décennie, un frappeur détruit l’équilibre ainsi établi entre équipes opposées et s’impose grâce à la puissance d’une forme égale à celle d’une ligne mélodique exceptionnelle, nous emporte par-delà les limites du baseball vers un territoire où ce sport se voit réinventé. DiMaggio était un joueur de cette espèce. De ses décharges électriques, il a foudroyé le baseball : telle est la raison qui lui a valu son surnom de la Châtaigne, son sobriquet de Joltin’ Joe. À la différence des autres joueurs, il n’a jamais connu la traditionnelle “année du débutant” – tout s’est passé comme s’il était né dans le baseball, avec son swing inimitable et son aptitude à cueillir au vol les balles les plus difficiles avec une grâce jusqu’alors inconnue. On pouvait le voir couvrir toute la surface du champ extérieur comme un chasseur en quête de proie. Il était de toute évidence incapable de maladresse. Maladivement timide loin du terrain, il prenait la plupart de ses repas dans une chambre d’hôtel. Et il rechignait à dépenser le moindre sou. Mais dès qu’il émergeait du tunnel et pénétrait sur le terrain, toute gaucherie s’évanouissait. Il établissait immédiatement le contact avec chaque spectateur. Et c’est pourquoi le stade entier faisait silence chaque fois qu’il empoignait sa batte pour frapper ou parcourait les grands espaces du champ centre pour empaumer une chandelle avec son gant. De tout ce lot de jongleurs doués et de prestidigitateurs accomplis, c’était le seul artiste. Chacun de ses mouvements avait son aura propre et produisait un charme. On aurait dit un danseur chorégraphiant sa propre danse. Il était rarement retiré sur prises – il était rare, en d’autres termes, qu’il ne réussît pas à frapper la balle de l’un des trois mouvements de bâton auxquels chaque frappeur a droit. Mais lorsque cela lui arrivait, que son corps se tordait en une superbe arabesque, un léger murmure courait dans le silence d’une foule témoin d’un si rare événement. Chacune de ses actions sur le terrain s’inscrivait au grand calendrier des souvenirs notables. Aucun autre joueur n’a jamais fait preuve d’un tel don ni ne l’illustrera jamais.

Préface à l’édition française Portrait de l’artiste en joueur de baseball, p. 9-11
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