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Critique de Bdotaku


Certains romans occupent une place particulière dans la littérature américaine et dans le cursus des collégiens et lycéens outre-Atlantique : « Tom Sawyer » de Twain, « Ne tirez pas sur l‘oiseau moqueur » d'Harper Lee » et « l'attrape-coeurs » de JD Salinger.

Je connaissais Salinger grâce à ce roman qui a bercé mon adolescence et à quelques-unes de ses nouvelles également. J'avais découvert son premier amour grâce au « Oona et Salinger » de Frédéric Beigbeder mais je n'avais aucune idée du rôle qu'il avait endossé durant la seconde guerre mondiale et ne savais même pas qu'il avait foulé le sol français. « Sergent Salinger » de Jérôme Charyn a comblé ces lacunes.

J'y allais un peu les yeux fermés car j'apprécie énormément le travail de Charyn comme scénariste de bande dessinée et plus particulièrement sa collaboration avec François Boucq dans leur diptyque « Little Tulip » et « American Cannibals ». Je retrouve dans le roman ce qui fait sa patte : une assise sur des faits réels et une documentation soignée, de la fantaisie aussi et presque du fantastique et surtout une galerie de personnages éprouvés par la vie….

C'est une biographie romancée de l'écrivain qui se concentre sur quelques années seulement : 1942 à 1945. Cela commence au Stork Club à New-York où Sonny, jeune nouvelliste prometteur, escorte son amoureuse Oona O'Neill, dîne à la table du cancaneur chroniqueur de New-York Walter Winchell et croise le grand Hemingway. Puis Sonny est appelé sous les drapeaux et on change de continent. Les images sont presque cinématographiques et très prenantes. On y voit certes le jeune Salinger élaborer ce qui sera la pièce maîtresse de son oeuvre et mettre en scène pour la première fois Holden Caufield, mais on assiste surtout aux horreurs de la guerre. Charyn romance des faits connus (le parachutiste de Ste mère Eglise n'est plus seulement accroché au clocher mais abattu par les Allemands et son corps est dissimulé dans la nef de l'église) et met en lumière d'autres faits peu glorieux qu'on jurerait inventés et qui, après vérification, sont tout ce qu'il y a de plus authentiques : le fiasco de Slapton Sands et de l'opération Tigre par exemple. Il parvient surtout à nous transmettre grâce à son écriture nerveuse et acérée le syndrome de stress post traumatique dont souffrent les « boys » et Salinger. Et ses multiples allusions à la nouvelle « un jour parfait pour le poisson banane » prennent ainsi tout leur sens.

Dans ces passages aussi mordants que ceux de « Candide » ou de l'épisode de « boucherie héroïque » du début de « voyage au bout de la nuit », le biographique devient anecdotique et se mue en témoignage d'une génération perdue. La figure d'Hemingway, grotesque Falstaff, celle du lieutenant devenu fou ou de l'officier qui ne se déplace jamais sans son lance-flammes nous montrent crûment les ravages psychologiques engendrés par la guerre. Charyn démonte donc la mythologie héroïque habituelle et témoigne en outre de la monstruosité particulière à la seconde guerre mondiale dans des pages difficilement soutenables quand Salinger, membre du contre-espionnage, fait partie des premiers à découvrir les camps d'extermination. Ceux qui auront vus l'excellente série « Band of Brothers » se souviendront de ces scènes atroces, mais les mots peuvent parfois être plus forts que les images et c'est le cas ici…

La traduction élégante d'Isabelle D– Philippe rend bien l'horreur, la noirceur et l'ironie du roman. Même si vous ne connaissez rien à l'oeuvre de Salinger, ce livre ne vous laissera nullement indifférent. Merci aux éditions Baker Street et à Babelio de m'avoir permis de le découvrir dans le cadre d'une Masse Critique.
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