Carte blanche pour
Eugène Chavette pour ses dernières oeuvres. Liberté de parler si bon lui semble toujours avec légèreté et sarcasme de sujets à priori sérieux : nos colonies françaises, la royauté ; et tout aussi bien de petites scènettes de ménages ou bien encore du statut du mariage.
La bigamie est abordée avec un incroyable détachement, humour ou pas, on sent un fond de sincérité :
« Prenez 100 maris, et vous en trouverez 99 neufs ayant une maîtresse »
Certains diront : certes, le mariage est trop rigide, acceptons de rétablir le divorce !
Pas suffisant ! Nous dit l'auteur, il faut autoriser la bigamie : par humanité (1) par ordre de la nature (2) et dans l'intérêt des bonnes moeurs (3)
1°/ Par humanité :
Les pauvres hommes étaient si peu nombreux en France (guerre, comportements à risques…) qu'il était estimé qu'il y avait 2 femmes pour un homme (il exagère bien sûr…)
De cette infériorité numérique, il serait terriblement inhumain n'est-ce-pas de délaisser ainsi les femmes exclues par le jeu cruel des chaises musicales ? « Pourquoi ces charmantes créatures seraient-elles condamnées à danser devant le buffet du mariage ? »
2°/ Par ordre de la nature
Ici on sous-entend que tout le monde se trompe. Ne soyons pas dupe « prenez 100 maris et vous en trouverez 99 ayant une maîtresse »
« Mais écrierez-vous, on a vu des maris fidèles !
Oui, mais on a aussi vu des chiens qui jouaient aux dominos. Ces rares excentricités confirment la règle »
Bref, cette chose si naturelle doit s'officialiser.
3°/ Dans l'intérêt des bonnes moeurs (ou plutôt de faire des économies)
Qui dit maîtresse dit avoir un second foyer à entretenir… Eh oui tout cela coûte cher à ces pauvres maris infidèles !
Mieux que cela, la bigamie ce serait aussi « des dépenses extraordinairement réduites par la réunion et une recette doublée par l'encaissement de deux dots »
Cela vous choque ? « Eh ! Mesdames, ne vaut-il pas mieux posséder une bonne moitié du mari que d'arriver en quart ou en sixième dans la propriété d'un époux que le mariage, tel qu'il est institué aujourd'hui, rend infidèle, mais que la bigamie priverait de toutes ces excellentes raisons qui justifient son infidélité.
Vous savez, au fin fond de votre conscience, que l'infidélité est non seulement excusable, mais qu'elle est même obligatoire. »
Une lecture contemporaine pourrait même s'entendre (avec un peu d'efforts) puisqu'il consent qu'il puisse tout aussi bien y avoir de la bigamie chez les femmes (une femme pour deux hommes), à condition, bien entendu, que le rapport numérique femme/homme soit inversé (2 femmes pour un homme dans une société) - ouf !
Autres nouvelles : les vêtements, la toilette…
On le sait, les vêtements coutaient plus chers auparavant… le tailleur différait malicieusement le moment venu de présenter la fatale note, la redoutable facture : « me présenta à payer une note si fabuleuse que je regardais sérieusement sur la facture si on ne m'avait pas compté par erreur une maison de campagne ».
Mais c'est surtout l'extrême soin et l'attention portée à la « toilette » qui étonne et c'est le comble pour la haute noblesse parisienne.
Invitée à un bal, c'est à celle qui fera le plus d'effet parmi les nobles. La journée sera pleine de souffrances et de tracas pour un instant de gloire. L'argent pour la toilette est un mince détail, on déplacerait une ville entière s'il le fallait.
Le coiffeur (pas n'importe lequel, le meilleur) a 2 minutes de retard ? La crise cardiaque n'était pas loin…
Une fois coiffée, habillée, est-elle rassurée ? Absolument pas, elle doit encore se figer en statue car rien ne doit ébranler l'édifice.
Nullement question de picorer quoi que ce soit, la tenue ajustée au millimètre près ne doit souffrir d'aucune prise de poids, même minime « les heures s'écoulent lentement dans le double tourment de l'immobilité et de la faim »
Enfin « on met le pieds sur le champ de bataille… et c'est alors qu'on est saluée par ce fameux murmure d'admiration qui sera enregistré demain dans le journal de High-Life. Elle l'a bien gagné, n'est-ce-pas ? »
C'est à peine si l'invitée se réjouit des convives. Passé la première impression, la démonstration d'opulence, le bal est déjà terminé.
Eugène Chavette nous offre à la fois, dans ses 20 nouvelles, de l'observation, de la finesse, des détails piquants avec la légèreté d'un humour lent ou contextuel, du sarcasme rarement méchant ou aigri et qui invite à la gaieté.