Jeunesse
Jeunesse qui t'élances
Dans le fatras des mondes
Ne te défais pas à chaque ombre
Ne te courbe pas sous chaque fardeau
Que tes larmes irriguent
Plutôt qu'elles te rongent
Garde toi des mots qui dégradent
Garde toi du feu qui pâlit
Ne laisse pas découdre tes songes
Ni réduire ton regard
Jeunesse entends-moi
Tu ne rêve pas en vain
Andrée Chedid
Textes pour une figure.
Arbres
Je sais des arbres
Striés de leur corps à corps avec les vents
Et certains dont les têtes résonnent
Des contes de la brise
D’autres solitaires et debout
Défiant le sol renégat
Et d’autres qui se ressemblent
Autour d’une maison grise
Je sais des arbres
Qui s’humilient au pied des eaux
Pour l’amour de leur image
Et ceux qui secouent d’arrogantes chevelures
À la face du soleil
Je sais des arbres
Témoins de très anciennes naissances
Et qui redoublent de racines
J’en sais d’autres qui expirent
Pour un frôlement d’aile
Je sais des arbres vains et qui ne sont
Que feuilles
Tous ils ont trop vécu
Sur la terre des hommes.
Démarche
Nul n’a vécu le fond d’une rose
L’espace d’un océan
Ou le lieu de son corps
Nul n’entrevoit l’écart entre la pulpe et l’écorce
Ne démêle l’écheveau de l’ombre et de la fleur
Les nuits martèlent nos clairières
Le jour abreuve nos ravins
Nul chemin n’est plus inverse que le nôtre
Mais nul plus souverain.
Regarder la pierre
Défiant les crépuscules
La Pierre
S’ajuste à la durée
Le temps
qui nous presse
S’effrite
contre ses parois
Ancrée dans la survie
La Pierre
Nous laisse à nos déclins
À nous
L’éphémère
Le vivre
Et le grain !
En danger de mots
À quoi servent les mots
Face à celui qui meurt !
Pourtant
Ils apprivoisent l’abîme
Désamorcent les peurs
Ramifient la tendresse
jusqu’au seuil de l’obscur.
À quoi servent les mots
Face à celui qui vit !
Ils brisent ou bien apaisent
Incendient ou délivrent
Ils modèlent nos visages
Saccagent ou donnent ferment.
Parfois l’accord
J’habite chaque visage
Les paumes de la vie se desserrent
Je quitte mes traces
Je vais
Alors qu’importe l’ornière du temps
Les filaments des choses
Ou les mots en lézardes
L’écume
Sur la plage candide
L’écume lâcha sels et débris
Elle zébra de rainures
Le sable immaculé
Entama la soie de sa trame
Entailla le grain de son tissu
Sur les plages ingénues
Les vagues accordèrent leurs dissonances
Rythmant le sol
d’algues de nacre et de scories.
L’espérance
J’ai ancré l’espérance
Aux racines de la vie
*
Face aux ténèbres
J’ai dressé des clartés
Planté des flambeaux
A la lisière des nuits
*
Des clartés qui persistent
Des flambeaux qui se glissent
Entre ombres et barbaries
*
Des clartés qui renaissent
Des flambeaux qui se dressent
Sans jamais dépérir
*
J’enracine l’espérance
Dans le terreau du cœur
J’adopte toute l’espérance
En son esprit frondeur.
Poème publié dans l’anthologie Une salve d’avenir. L’espoir, anthologie poétique, parue chez Gallimard en Mars 2004
Regarder les mains
Passerelles pour nos mots
Compagnes de nos visages
Ossuaire ou mouvement
Offrande ou rempart
Nos mains se calquent
sur nos ombres
Ou bien se hissent
vers nos clartés.
Épreuves de la beauté
En ces aubes où fermente encore la nuit
De quel élan
gravir ?
De quel œil contempler
Villes visages siècles douleurs espérance ?
De quelles mains creuser
un sol toujours fécond
Ériger l’édifice à ciel ouvert ?
De quelle tendresse chérir vie et terre
Abolir l’échéance
Cicatriser l’entaille ?
À quelle lumière découvrir
la beauté des choses
Obstinément intacte
sous le squame des malheurs ?