Hommes parmi les pierres
À quoi ressemblons-nous
Braises sur l’ardoise des âges
Dressant des degrés dans l’ombre
Traçant des halos sur les mers
Semant des étoiles dans les puits
Hommes parmi les pierres
Qui ne cessons de mourir ?
À quoi ressemblons-nous
Sentinelles sans réponse
Magiciens du cri ?
Je
Qui me quitte et m’habite
Qui me débusque et se dérobe
Qui dérive tandis que je m’emmure
Qui se rive alors que je me fuis
Qui est sans grappe
Qui est la saveur même
Qui m’assiège et m’écorche
Me lâche dans les ravins
Qui est abrupt comme l’écorce
Humble comme les puits
Qui est mon bec ou ma lande
Qui me happe me traverse
Me résiste me défie
Qui me berce et m’emporte
Qui me réconcilie ?
Oui
Parée de fraîches étoiles
Je glisserai dans la mort,
Eau lointaine qui m’espérait
Tandis que j’étais autre.
Plus rien à effacer,
Plus jamais de retour,
Plus rien à ajouter,
Mais ce oui enfin vécu
En ce nôtre qui n’est plus nôtre
Après l’amande éclatée.
Hors des pièges
Le temps s’est rompu
Mais les chaînes persistent.
Un oiseau se déchire
Une étoile abdiquera ;
Le vainqueur lasse son ombre
Et les chevreuils gémissent.
En habits d’océan le poète veillera.
À la lisière
Je ne sais où nous allons
Plus étranges que le mystère,
Entre le gris et l’étincelle
Aimant la rose, aimant l’ami ;
Embourbés dans nos ruelles
Semblables et lisses dans la mort.
Je ne sais d’où nous venons
De quel séjour vers quelle poursuite,
Avec nos ongles avec nos ailes
À la lisière de nos deux vies ;
Dessous nos toits, devers l’immense,
Entre nos murs et notre cri.
Mais nous allons et nous allons
Vêtus d’ardeur, vêtus de nuit ;
Comme si l’autre monde était le nôtre.
L’austère saison
Quel ciel nous fait parfois semblables à des ombres ?
Quel goût d’un autre temps ?
Forêts originelles, lac aux sept profondeurs,
Mers sans récompense,
Vous ressemblez à l’austère saison !
Celle qui nous assaille lorsque le jour émigre,
Le jour que nous aimons et sans cesse rejetons.
La traversée de l’absurde
Je m’accouple au vide :
Plus de fond à mon être,
Les heures me traversent,
L’âme est un cercle gelé.
Le geste n’a plus d’écho.
La blessure m’indiffère
Glisse sur la dalle du cœur,
Effleure l’arc des pensées.
Ni crêtes, ni cavernes,
Je n’abrite qu’ombre de l’ombre.
J’enfonce dans le rire,
L’univers dérobe son secret.
La traversée sensible
S’inventer un soleil
Renaître aux larmes
Dire l’œil de l’ornement
Risquer tous ses vaisseaux.
Assiéger l’espérance
Savoir ce que l’on aime :
Le non d’entre les oui,
Le oui d’entre les non.
Rompre enfin l’écorce !
L’univers supplantera nos enclos.
L’heure dernière
Nous nous reconnaîtrons dans l’heure dernière
Où fermente et rassemble l’hallucinant secret
La sonnaille des mondes
S’éteindra
Tu inverseras l’humide différence
Tu quitteras le temps éclaboussé
Nous n’entraînerons que parole muette
Que parole muette
et ses vastes promontoires.
En danger de mots
À quoi servent les mots
Face à celui qui meurt !
Pourtant
Ils apprivoisent l’abîme
Désamorcent les peurs
Ramifient la tendresse
jusqu’au seuil de l’obscur.
À quoi servent les mots
Face à celui qui vit !
Ils brisent ou bien apaisent
Incendient ou délivrent
Ils modèlent nos visages
Saccagent ou donnent ferment.