Le monde
Je suis las d’avancer dit la grande voix du fleuve
Porteur de tant d’images de ce monde violenté
Je ne suis que reflets de visages disparus
Et que j’avais aimés
Je voudrais dit la voix du grand fleuve
Être mat comme le bois
Clos comme un portail
Ou n’être qu’un peu d’eau
Entre deux bancs de sable
Poursuivant sa paisible aventure vers la mer
Je suis las de tourner dit la vieille voix du monde
Porteur de tant d’images de ces vies tourmentées.
Arlequin
Pour ma robe d’Arlequin
J’ai arraché le Bleu à l’horizon fané
Et la Pourpre au grand cri solitaire et nu
J’ai pris le Rouge de nos guerres
Et le Vert de nos rancœurs
Pour que chante et rie ma robe en ses couleurs
J’ai pris ce qui était
Jaune comme la crainte
Noir comme la faim
Gris comme les pleurs
Et Brun comme le sang séché sur les chemin
Et je me suis coiffé du Blanc des faces mortes
Pour danser devant Dieu
Et distraire son regard de l’éternel ennui.
En réalité, je ne cherche pas d’épilogue
En réalité, je ne cherche pas d’épilogue,
ni de jardin perdu ;
seule la poursuite me mène.
Ainsi, chaque poème achevé continue de m’apparaître
comme un caillou dans la forêt insondable,
comme un anneau dans la chaîne qui me relie à tous les vivants.
Nos corps
Nos corps tissent la vie
Et puis tissent la mort
A perdre regard
Ils vont
Au point de ne plus être
Ils étaient cependant
J'existais
Et tu vas
Dans le cerne de toute chair
Dans la maison des yeux
Dans l'amour vulnérable
Dans l'incessant renaître.
Ta question chemine
Ami, qu’une seule tige enténèbre !
Parfois l’angoisse plaque ses robes de bure
Entre demain et toi,
Parfois la terre, couleur d’os,
se dévêt de sa fête
Et le cœur s’élime à la meule du temps.
Alors, Ami, quoi qu’il te semble
Fais halte et souviens-toi…
Le soc des jours meurtrit,
Mais la semence des jours
repique les déserts.
Au revers des récifs,
Plus enfoui que les gouffres :
Ton sable est sans entaille.
Et ta question chemine
Vers je ne sais quel accord.
(Contre-chant, 1968, p. 235)
Qui suis-je ?
Qui je suis
Je l’ignore !
Mythe ou réalité
Dans l’intime du rêve
Sortie du néant
De passage dans le monde
Captive de l’existence
Et pourtant
Novice devant les jours
Proche de la fable
Mais réelle
Mais vivante
Dans ce monde trop vaste
Où je subsisterai
Au-delà de mon temps
Qui je suis
Jour après jour
Je me le demande
Cette vitalité
À toute échelle
Ce trop-plein
Ces plissements inattendus
Cette destinée
Étrange
Voulue ?
Ce « renaître »
Cet apprentissage
Cette humanité
À laquelle
On croit toujours
Et puis
Cet invivable
Ces guerres
Ces infamies
Ce vide réanimé
Cette mort en vue.
Nos corps
Nos corps tissent la vie
Et puis tissent la mort
A perdre regard
Ils vont
Au point de ne plus être
Ils étaient cependant
J'existais
Et tu vas
Dans le cerne de toute chair
Dans la maison des yeux
Dans l'amour vulnérable
Dans l'incessant renaître.
Si tu ré-inventais la terre
Songerais-tu à lever océans et soleils
A convoquer les saisons
A mettre au monde les hommes?
Si tu ré-inventais la terre
Logerais-tu mêmes fièvres dans leurs entrailles
Mêmes arcanes dans leurs cœurs
Dans leur souffle les mêmes dieux?
Si tu ré-inventais la terre
Romprais-tu l'épée des supplices
Contiendrais-tu les crues de la haine
Changerais-tu les soupçons en bienfaits?
Si tu ré-inventais la terre
Redresserais-tu les décrets du sang
Abrogerais-tu la mort nécessaire
Provoquerais-tu d'autres alchimies?
Si tu ré-inventais la terre
Drainerais-tu les plaies de nos batailles
Absorberais-tu nos vides et nos sanglots
Répandrais-tu l'ivresse d'exister?
Certaines tombes ne jaunissent pas
Certaines fins multiplient le vertige
Certains départs s'adossent à la fraîche souffrance
Certains corps brûlent à tous les âges du nôtre
Certaines paroles bouleversent
Tout le silence à vivre.
Chargé de vie
Lesté de mort
Chanter
Jusqu'à l'absence
Jusqu'au dernier accord
Tout au bout du
Chant
le
Chant
Musique sans reprise
Silence