Orthodoxie

L'homme tout désigné pour causer la ruine de l'endroit qu'il aime est précisément l'homme qui l'aime pour une raison particulière. L'homme qui améliorera l'endroit est l'homme qui l'aime sans raison. Si un homme aime quelque particularité du quartier de Pimlico, il peut se retrouver à défendre cette particularité contre Pimlico même.

Ce qu'il y a de mauvais dans le pessimiste, ce n'est pas qu'il fustige les dieux et les hommes, mais qu'il n'aime pas ce qu'il fustige : il se trouve dépourvu de cette loyauté primordiale et surnaturelle envers les choses. Et qu'y a-t-il de mauvais chez l'homme communément appelé optimiste ? De toute évidence, on sent que l'optimiste, en voulant défendre l'honneur de ce monde, va finir par défendre l'indéfendable. Il est chauvin à propos de l'univers : "C'est mon cosmos, qu'il soit juste ou injuste." [...] Il ne lavera pas le monde, il le blanchira.

Car la parure n'est pas destinée à cacher des choses horribles, mais à décorer des choses déjà adorables. Une mère ne donne pas à son enfant un ruban bleu parce qu'autrement il serait bien laid. Un amoureux ne donne pas un collier à une jeune fille pour qu'elle se cache le cou. Si des hommes aimaient Pimlico comme les mères aiment leurs enfants [...] alors en l'espace d'un an ou deux, Pimlico pourrait être plus beau que Florence. [...] Remontez jusqu'aux racines les plus obscures de la civilisation et vous les trouverez enlacées autour de quelque pierre ou puits sacrés. Les hommes ont commencé par honorer un lieu, ensuite ils ont conquis pour lui la gloire. Les hommes n'ont pas aimé Rome parce qu'elle était grande : elle fut grande parce qu'ils l'avaient aimée.

Tout homme appartient à ce monde, avant même de commencer à se demander s'il est agréable d'en faire partie. [...] Notre attitude envers la vie s'exprime mieux en termes de loyauté militaire qu'en termes de critique et d'approbation. Je n'accepte pas l'univers par optimisme mais plutôt par patriotisme. [...] Le monde n'est pas un hôtel à Brighton qu'il nous faut quitter parce que misérable : c'est la forteresse de notre famille. La question n'est pas de savoir si ce monde est trop triste pour qu'on l'aime ou trop gai pour qu'on ne l'aime pas ; la question est que, si vous aimez une chose, sa joie est une raison de l'aimer et sa tristesse une raison de l'aimer davantage.

Il est bien futile de faire valoir que l'homme est petit comparé au cosmos, dans la mesure où l'homme a toujours été petit par rapport à l'arbre le plus proche.

Les contes de nourrice ne sont que l'écho d'un tressaillement presque prénatal d'intérêt et d'étonnement. Ces contes disent que les pommes sont dorées uniquement pour faire revivre l'instant oublié où nous avons découvert qu'elles étaient vertes. Ils font couler du vin dans les rivières à seule fin de nous rappeler, pour un moment d'extase, qu'il y coule de l'eau.

Le révolutionnaire moderne, parce qu'il est un sceptique absolu, est toujours en train de subvertir ses propres subversions. Dans son ouvrage sur la politique, il attaque ceux qui foulent au pied la moralité, et, dans son ouvrage de morale, il accuse la moralité de fouler au pied les hommes. En conséquence, le révolté moderne est devenu pratiquement incapable de tout projet de révolte. En se révoltant contre tout, il a perdu le droit de se révolter contre quoi que ce soit.

L'ancienne humilité incitait l'homme à douter de ses efforts, ce qui pouvait le pousser à travailler davantage ; la nouvelle humilité, elle, incite l'homme à douter de ses objectifs, ce qui l'amènera à cesser complètement de travailler. [...]
Les railleurs d'autrefois étaient trop orgueilleux pour se laisser convaincre ; mais ceux d'aujourd'hui sont trop humbles pour avoir une conviction.

Comme explication du monde, le matérialisme procède d'une espèce de simplicité démente. Il présente exactement la caractéristique d'un argument de fou : on a à la fois l'impression qu'il rend compte de tout et l'impression qu'il rate toute la réalité. Observez un matérialiste habile et sincère et vous éprouverez exactement cette impression unique. Il comprend tout, et rien ne semble valoir la peine d'être compris.

Tous les chemins mènent à Rome ; c’est une des raisons pour lesquelles tant de gens n’y vont jamais.