Défi solidaire 2024
Un livre-classement au genre inclassable.
J'ai un problème, une obsession, avec l'alphabet. Je suis alphadepte. Alors, quand j'ai vu en bibli ce livre d'un auteur du défi solidaire, j'ai vite compris que ce jeu littéraire allait me plaire. Cela dit, ça passe ou ça casse, pour le lire il faut entrer dans le délire, ou l'on se lasse. L'humour absurde, littéraire, les variations "musicales" autour d'un mot par lettre, il faut lire quelques citations pour en saisir le (non) sens. Ce livre est comme le sommeil : il est léger, profond et paradoxal.
Léger, par son humour et ses sauts d'un thème à l'autre. Même au sein d'un chapitre, on passe par exemple d'une partie du corps à l'autre, lorsque l'auteur tente de fragmenter le corps humain. Sur le langage pur, comme en témoigne les poétiques accumulations. Sur l'origine, avec des biographies d'hommes préhistoriques. Sur Dieu, avec fausse grandiloquence, il trace un parcours croyant/athée agressif/athée tolérant, avant de prouver la non existence de Dieu car le monde est bien trop cohérent pour avoir été créé. L'auteur nous propose aussi de faire "un grand bond en avant" en nous nommant Kangourous. Il arrive aussi (exploit) à nous parler WC sans vulgarité. Il s'offusque de l'origine de son nom, dans une réflexion onomastique.
Profond, par sa réflexion et ce livre-musée, exhibition de vocabulaire, accumulation géante. L'auteur s'amuse à exhiber ses mots car c'est une petite provocation, il peut semer la discorde ainsi (c'est dit dans le premier chapitre) mais c'est fait avec espièglerie. L'amusante critique de la rentrée littéraire, la comparaison du roman à une île (et tout le travail sur l'île...)Même un thème comme l'âge de l'auteur est traité avec cette profonde légèreté littéraire. La réflexion sur la construction du style, qui n'est pas un exercice (ah bon ?), le valorise. L'amour pour les deux filles qu'il a faites (sa compagne a contribué), le journal qu'il écrit, la réflexion sur les personnages avec sa marquise. L'auteur parle même de la réception de ses livres, aussi peu compris que lui comprend les maths.
Et paradoxal, car c'est un livre du classement qui est lui-même inclassable. en cela, il peut évoquer Penser/classer de Perec, lu il y a quelques années, voire la liste de
Prévert. Réflexion tantôt animalières, tantôt humaines; sur une espèce particulière : l'écrivain (par exemple, son rapport avec la théorie). L'auteur se plait à relever des paradoxes, sur la photographie par exemple, sur la question taxinomique du genre littéraire, ou sur l'humoriste, un vrai rabat-joie. le livre n'est pas engagé, à l'exception du chapitre "banc", qui évoque la façon dont les bancs sont inconfortables pour les SDF (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mobilier_urbain_anti-SDF).
En fait, ce désordre azerty est l'objet d'une certaine cohérence : forme de "biographie" des idées, qui porte sur le métier d'écrivain, forme de blog, mais matière de livre. le chapitre "littérature" lui-même, à L, donne envie d'écrire à notre tour.
La fin est un exercice littéraire, à savoir une fiction d'enfant, puis une réécriture adulte.
Le mot est apparu plus tôt dans ma critique, c'est un livre espiègle et créatif. C'est un peu un humour de prof de français, mais je n'ai rien contre les profs de français, tant qu'ils me mettent de bonnes notes. Moi, je mets cinq sur cinq.