Cette remontée de l' Isère occupe mes pensées depuis plusieurs mois. Sa représentation s'est chargée tous ces temps d'une poésie aux bourgeons multiples.
En voilà les premiers pas. La marche elle-même, dans ce qu'elle suppose de confrontation réelle aux paysages, aux lumières qui les inondent, à l'alchimie légère du corps mobilisé par l'effort, à la douce solitude qui l'enveloppe, la marche prend le pas sur l'idée que je m'en faisais.
Cela reste à vérifier, mais ce récit pourrait emprunter dans sa forme à la cinétique de la marche. Y alterneraient une page, puis l'autre. Comme un pas, puis l'autre. Le premier posé sur la terre, dans l'ici et le maintenant du voyage. Le second emportant ailleurs, à l'image des songes volatils du marcheur.
Tout commence, le long de ces larges chemins de halage désert et sans ponctuation, par un sentiment d'égarement. Ma pensée perd en acuité et en opiniâtreté sur ce que je suis en train de vivre.Las de guetter les hérons et les huttes de castors, mon oeil renonce à toute application dans sa façon de se poser sur les choses.....Dans ces instants de vacuité, semble ne subsister que la marche elle-même, en tant que véhicule de progression.
En tout cas, si à l'instant j'écris ces mots, assis à ma table de travail, c'est bien que j'ai choisi de me remettre, par le souvenir et par la pensée, avec l'outil de la langue, sur le fil de cette marche le long de l'Isère. J'aurais pu, au lieu de cela, partir pour un autre voyage, un vrai, me dédier à d'autres causes, à d'autres projets. Mais non. Dans le temps long de l'écriture, qui dépasse de loin celui du périple qu'elle rapporte, je suis heureux de revenir sur mes traces, j'éprouve le besoin d'en questionner le sens, de m'engouffrer dans les creux de l'aventure, de refaire le parcours autrement, d'en saisir mieux ou différemment les paysages.
Cette fois-là, mon parrain André avait déployé sur le pré un canot pneumatique. Deux pagaies étaient disposées dans l’herbe, juste à côté. Vous pourriez remonter la rivière, les gars, il a dit. On était restés silencieux un moment, avec mon ami, l’œil posé sur l’embarcation. Je ne sais plus si c’est lui ou moi qui avait posé la question : pourquoi on se la descendrait pas, plutôt ? Vous pouvez la descendre, les gars, avait dit André, mais la remonter vers la source, c’est aller dans le sens des explorateurs. C’était d’accord, on la remonterait.