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Hier, je me promenais dans le fond de la rade de Brest, dans un coin solitaire que j'aime beaucoup et où des oiseaux aiment à se retrouver. À marée basse, on les voit mieux, puisque le paysage maritime est à découvert, ici c'est un paysage de marais et de vase, idéal pour observer les aigrettes et les hérons qui viennent s'y poser et se nourrir. Les hérons sont plutôt rares, j'en ai cependant vu un hier. Un héron cendré. J'adore cet oiseau. Un de mes voisins, beaucoup moins. Il avait eu l'étrange idée d'installer dans son jardin un petit bassin avec des poissons et un jour un héron y est venu pour en faire son goûter... Moi, j'ai ri de cette histoire... Depuis, il a remis de nouveaux poissons dans son bassin et a installé un grillage au-dessus, il est vraiment bizarre mon voisin. Un jour, si j'ai la patience, je l'emmènerai visiter la nature, mais je crois que je n'aurai pas la patience... Je n'aurai pas l'infinie patience des oiseaux... Voir un héron avancer dans un paysage de cailloux et de vase, s'envoler brusquement dans un vol majestueux empli de grâce, c'est pour moi une vision de toute beauté. Dans cette légèreté, je me suis senti brusquement protégé de tous les malheurs du monde... Cela m'a donné envie de relire le héron de Guernica, d'Antoine Choplin. À Guernica, il y avait aussi des marais et des hérons cendrés. Je ne sais pas vraiment à quoi ressemblent les paysages de là-bas. Sont-ils différents d'ici ? C'était en avril 1937. Le jeune Basilio passe son temps dans les marais à observer et peindre des hérons cendrés, un en particulier au bord d'un pont, alors que la population fuit dans la crainte de l'arrivée des Nationalistes. La guerre est là, une guerre civile entre Républicains et Nationalistes, elle est imminente, pourtant ce sont des jours de bonheur, des jours ensoleillés qui nous accueillent ici, nous découvrons le bonheur de vivre que partagent Basilio et sa compagne Celestina. La guerre est là sans être là, comme une menace à laquelle on ne croit pas... La guerre vient brusquement sur Guernica un certain 26 avril 1937, elle vient déverser ses bombes sur la ville, un jour de marché où il y avait la vie, des femmes, des hommes, des enfants, qui ne faisaient pas la guerre. C'est une ville en feu, Basilio voit cela avec des yeux plutôt habitués à regarder jusqu'alors des oiseaux. Basilio voit ce massacre. Il y avait ce héron là toujours près du pont... A-t-il survécu au massacre, aux bombes qui tombaient comme des pluies... ? Basilio, peintre des hérons, peintre des hérons à Guernica. Basilio était là sous les bombes ce jour-là... Un autre peintre n'était pas là ce jour-là et pourtant deviendra célèbre, Pablo Picasso, il l'était déjà, immortalisera l'événement dans un tableau sublime où il n'y a pas de hérons... Basilio était là ce jour-là mais ne recherche pas la célébrité. Les deux hommes ont cependant un point commun, dire l'horreur avec l'art de peindre... Basilio veut dire ce qui s'est passé... Veut rencontrer Pablo Picasso dont il a entendu parler... La suite continue d'être un texte sublime... Hier, en observant les oiseaux tranquilles, je me disais que cette douceur, cette beauté fragile, immuable, était comme un de nos derniers remparts pour nous protéger des barbaries humaines, des haines quotidiennes, des guerres à venir parfois toutes proches... J'aurais voulu avoir le talent de Picasso, ou de Basilio, peindre, inlassablement, ces vols d'oiseaux qui n'empêchent pas les guerres, mais tentent de nous les faire oublier... Les regarder simplement, c'est peut-être déjà appartenir à une citadelle imprenable. Dire non aux guerres à venir, parfois imminentes. J'ai adoré ce livre qui m'a fait entrer de plein pied dans l'univers atypique, empreint de pudeur d'Antoine Choplin. + Lire la suite |