Nous sommes en décembre 1941, à Therisienstadt, - aujourd'hui Terezin ville située en République Tchèque. C'est alors une ville-ghetto et un camp de concentration où sont détenus des prisonniers juifs.
C'est un ghetto, un camp de concentration comme notre Europe en a tant connu à cette époque en pleine Seconde Guerre mondiale.
Nous suivons le périple de Bedrich qui arrive ici avec sa femme Johanna et son tout jeune fils Tomi. Il est dessinateur. Il intègre le bureau des dessins en tant que responsable.
Officiellement, il s'agit de dessiner des plans d'architecture pour les Allemands, des aménagements de bâtiments, vous voyez, des choses qui n'inquiètent pas, rien de dangereux pour l'ordre imposé.
J'ai imaginé ce groupe d'hommes affairés à dessiner dans ce lieu confiné où ils avaient peur sans doute déjà.
Mais la nuit qui vient révèle à chaque fois autre chose. Ce sont les mystères des nuits impossibles, où j'imagine que la terreur, à chaque fois, à chaque guerre passée, actuelle ou à venir, devient alors un cauchemar éveillé. Ainsi vient comme cela presque sans les mots, comme un instinct de survie, un sentiment de cohésion spontané et presque naïf, la décision d'un collectif qui se forme de dessiner autre chose, secrètement. Un dessin vient, des dessins, d'autres dessins... Des sourires viennent aussi. On rit parfois. C'est jubilatoire. Ces dessins, on les enfouit après dans une simple fente cachée par une latte de bois...
Chaque jour se succède ainsi à l'autre. Dessiner, dessiner...
Chaque nuit, dessiner autre chose... On ne sait pas encore ce qu'on va en faire de tout cela.
Dessiner l'indicible, l'inconcevable, dessiner ce qu'est le quotidien d'un camp de concentration.
Oui, parce que l'endroit cherche à être considéré comme « exemplaire », les Nazis voudraient faire passer aux yeux de la communauté internationale l'endroit pour une colonie juive modèle, d'autant plus qu'une délégation de la Croix-Rouge internationale s'apprête à venir visiter les lieux prochainement et les hôtes allemands font tout pour rendre le lieu propre, « normal ». Alors, ces dessins, ce serait l'occasion rêvée de les sortir de leur cachette et de les partager à ces visiteurs inopinés, montrer à l'extérieur ce qu'ils vivent ici.
Une forêt d'arbres creux dit cela, rien d'autre, la vie en état de guerre, avec une manière de ne pas montrer la guerre de manière visuelle, frontale, mais de la suggérer, en dire l'horreur avec ce quotidien, ces gestes presque anodins, avec des destins qu'on imagine ployés déjà vers l'innommable, malgré l'espoir qui les tient encore debout.
Comme toujours Antoine Choplin aborde dans ce roman les heures sombres de l'Histoire, mais avec son écriture délicate, tout en retenue, il nous fait entrer comme cela dans un huis-clos, dans l'atmosphère de ce camp de concentration, il nous dit l'entraide, une humanité absolument bouleversante.
C'est une écriture sobre, un récit glaçant.
Évoquer plutôt que raconter.
Comment dire la puissance de la création qui se dresse comme un mur devant la barbarie et la volonté d'une destruction totale ?
Dessiner devient alors comme une arme, dire l'impensable, peindre l'inimaginable.
Lorsque la nuit vient, ces hommes ordinaires d'un bureau de dessin presque ordinaire deviennent des rebelles, des voyageurs clandestins, des résistants, des personnes qui disent Non, des personnes qui savent déjà que certains mourront pour cela.
N'oublions jamais celles et ceux qui savent dire Non à la guerre, résister avec leur art, leurs rêves, leurs bras dressés devant des tanks, au prix de leurs vies essentielles, quels que soient l'époque, l'endroit au monde, des êtres qui savent déjà que certains d'entre eux mourront pour cela.
Nous sommes en décembre 1941 à Terezin, en République Tchèque ..
Bedrich arrive avec femme et enfant dans la ville ghetto et intégre le bureau des dessins.
Chaque jour, avec son équipe de quinze hommes, vont se succéder commandes obligatoires, jours sombres, aménagements de bâtiments , traits soignés, plans du futur crématorium, discussions interminables des tâches en cours, échanges d'une voix blanche et égale.....visages silencieux et concentrés..
Chaque nuit, le groupe se reforme, en cachette......
Cet ouvrage pudique et intense, aérien et délicat, simple mais sublime , cet ensemble lumineux et ciselé, poétique et brillant comme sait les écrire" Antoine Choplin à l'image du "Héron de Guernica "rend la réalité de la noirceur du monde qu'il décrit magnifiquement à travers l'art pictural.
La poésie est partout présente dans l'effroi et la vaillance des regards , la noirceur de la réalité .....
Malgré les faits relatés, les descriptions comme la métaphore p8 des arbres martyrisés afin d'évoquer les hommes en souffrance est tout simplement sublime.
L'auteur conte la rébellion; la douleur et la peine, la colére, dissimulée ou non, le bonheur de toutes petites choses : le rayon du soleil , le trait du crayon gras qui dessine, la satisfaction des outils, des notes de musique, une promenade dans le ghetto avec son épouse, les formes qui apparaissent .
Ce livre extrêmement attachant , à l'écriture chatoyante donne l'impression du vécu, de l'angoisse de la faim , l'image imprimée de ces châlits superposés, ces nuques tendues, ces fronts inquisiteurs mais aussi cette évasion intense, cette pensée Libre, paradoxale dans l'exiguïté des espaces, l'épuisement des hommes et des corps fatigués.....
Cet ouvrage témoigne de l'impensable, barbelés et arbres entrelacés, élan et contrainte, vérité et illusion, mort et vivant ......
Lu dans le cadre du prix Jean d'heurs spécifique à mon département , prix du roman historique , sélection 2016.
Avec Une forêt d'arbres creux, Antoine Choplin poursuit sa réflexion sur la faculté de l'art à retranscrire la réalité, ou comment saisir le fracas et la laideur du monde surtout lorsque d'autres s'évertuent à dissimuler, falsifier la vérité. C'est ce qui s'impose au caricaturiste Berdrich déporté au camp tchèque de Terezin lorsqu'on lui demande d'élaborer les plans de construction du crematorium du ghetto.
Rien n'échappe à l'oeil de l'artiste qui dessine clandestinement avec ses amis du bureau des dessins la lassitude, la faim, la maladie...tout ce qui exprime l'angoisse oppressive dont tout le monde souffrait. Même au péril de leur vie.
On retrouve dans ce court récit ce qui ressemble un peu à une obsession pour l'auteur: le pouvoir de suggestion de l'art et le regard singulier de l'artiste. Certes, l'image ou le visuel ont souvent un impact émotionnel plus fort que les mots. Évoquer plutôt que de raconter, frapper l'esprit pour mieux laisser une empreinte mémorielle. Encore faut-il avoir la faculté pour celui qui écrit sur ce thème de capturer avec les mots ce qui leur échappe.
Fort heureusement, Antoine Choplin maîtrise cet art de faire surgir avec une incroyable économie de mots une atmosphère, un sentiment, des instantanés qui frappent la rétine. Il s'illustre par un style cristallin, des phrases capables de renvoyer des images qui matérialisent sous nos yeux des fragments de vie dotés d'une réelle force méditative.
Pourtant, il n'y a pas de déflagration, ni d'exercices de style dans ces chapitres courts. J'aime lorsque un auteur écrit sans la nécessité d'emplir tout l'espace du récit. Tout est dans le détail, si bien qu'on a pas l'impression d'avoir sous les yeux une histoire, mais plutôt un compulsif d'images que seul un oeil avisé et attentif à ce qui l'entoure est capable de restituer. le détail est donc révélateur et l'évocation bouleversante.
1941: Bedrich est emprisonné avec sa famille au camp de Terezin ( République Tchèque) où il oeuvre comme dessinateur architecte. Soumis à un travail de commande le jour pour construire le ghetto, résistant la nuit par des dessins personnels en illustrant la vie de cette citadelle militaire concentrationnaire.
Instantanés du quotidien d'un camp de travail, petits moments fugaces où toutes les composantes de l'âme humaine se révèlent dans la beauté ou la laideur. Aucun mot prononcé, seul le langage des corps est décrit. C'est un livre au silence assourdissant, pour dire la peine, la peur, la rébellion, la colère, mais aussi le bonheur des petites choses précieuses comme un rayon de soleil, un crayon qui dessine, des notes de musique, une promenade en famille dans le ghetto, l'imagination qui libère...
Le talent d'Antoine Choplin est sans pareil. Il est capable de créer un livre infiniment attachant dans un contexte de noirceur pesante, où toute violence est suggérée, où la poésie des mots et des descriptions fait merveille en dépit des faits relatés. La métaphore des arbres martyrisés est magnifique pour évoquer des êtres en souffrance. Et, comme dans le Héron de Guernica, il pose la question de savoir rendre la réalité du monde à travers un art pictural.
Que j'aime Monsieur Choplin !
« On n'a jamais rapporté le cas d'une forêt d'arbres creux, n'est-ce pas ? »
À l'arrivée au camp de Terezin, ville-ghetto en république tchèque, le regard de Bedrich s'arrête sur les deux ormes à l'entrée du camp. Puis sur les poteaux et les babelés, posés comme une cicatrice, une portée de silence assourdissant.
Bedrich est dessinateur.
Mais le soir, les hommes et les femmes contraints de dessiner des plans pour le ghetto, crayonnent la vérité, avec les ombres, les silences, et parfois un rayon de soleil, une note de musique, un poème.
Ils sont comme ces deux ormes. Ils ne sont pas creux. Ils portent en eux l'élan d'un espoir, d'une vérité, d'une richesse. Ils sont faits de lignes brisées par les barbelés, les ordres, la cruauté. Ils se courbent sous le poids de la noirceur. Mais leurs coups de crayon s'élancent en secret, dans le désordre du silence, vers les cieux, pour faire entendre la vérité, pour vivre encore, même décharnés. Leur imagination les porte au loin.
Un livre comme un coup de crayon sombre avec quelques touches de lumière. Un tableau qui suggère, une mélodie qui effleure. L'invisible se révèle dans le creux des silences.
Ceux qu'on a débarqué des wagons se comptent par centaines ; ils avancent silencieux, serrés les uns aux autres. Serrés, mais paraissant ne rien partager d'autre que cette destination mal comprise, avec son pesant d'inquiétude que trahissent les nuques tendues, les fronts inquisiteurs, cet élan nerveux malgré les fatigues. Parfois, dans le cœur du convoi, on peut voir un plus fort s'emparer sans un mot d'une besace difforme appartenant à un autre qui n'en peut plus. Souvent, un foulard protège le visage des femmes, qu'il faut sans cesse réajuster à cause des bourrasques. Les enfants s'emmitouflent comme ils peuvent dans les pans du manteau de leur mère.
D'un pas tranquille, il parcourt le couloir en sens inverse, et ce qu'il éprouve juste après, tandis qu'il sort du bâtiment et que ses yeux se plissent sous l'effet de la lumière de midi, c'est un curieux sentiment de dénuement ; presque une nausée, et qui pourrait le faire chanceler si elle ne s'accompagnait d'une conscience résistante, fragile mais teintée d'espoir, de l'acte qui s'accomplit.
Bedrich lève à nouveau les yeux vers la petite lucarne.Ce qu'il peut voir lui paraît d'abord n'être qu'un morceau de ciel cendré. Puis ,le regard s'accommodant et prenant la mesure des lointains,apparaît la ligne ténue de l'horizon,à peine marquée, aux courbures infiniment légères, un trait tiré à main levée.
Et,coiffant les arrondis insignifiants, comme un surplus de chair donné au paysage,oui,sans doute,même si cela reste à vérifier,il,y a l'assemblée des arbres.( page 116).
Dans ce parcours doux et débridé du crayon sur la feuille matinale, et par ce regard tendre épousant le trait à la suite de la main à l’œuvre, il y a comme un contentement pour Bedrich, et c'est peu dire. Une joie presque, secrète et immobile, surplombant les parois du ghetto, réduisant à néant, le temps d'une seconde, les tragédies. Tiens, comme ce soleil de maintenant peut-être, touchant au front ; que l'on sait pourtant partagé par les autres et qui ne saurait donc, aussi bien que le trait du crayon, nous en tenir a l'écart.
Ce qui se fabrique ici, en pleine nuit, est d'une nature différente. Car il ne s'agit plus de répondre à la litanie des commandes obligatoires, plans, aménagements, embellissements, façades, architectures en quête d'apparat ou d'efficience. Il s'agirait plutôt, c'est ce qu'ils ont décidé, de dédier ce temps à la représentation de la réalité, sensible et nue. Voilà ce dont il est question pour ces hommes assemblés, femmes aussi parfois, dans le silence parfait, sous les halos rabougris des lampes amenées au plus près des traits de plume : dessiner, peindre un peu de la vérité de Terezin. Chacun librement, sans consigne d'aucune sorte.
Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell