- Imaginons un homme, un homme tout à fait comme les autres, qui n'a jamais été effleuré par la moindre pensée de meurtre. Il y a en lui une trace de faiblesse, profondément enfouie, qui n'a jamais eu l'occasion de se manifester. Peut-être ne l'aura-t-elle jamais, et notre homme finira sa vie honoré et respecté de tous. Mais supposons qu'un incident se produise, un problème d'argent, par exemple ou moins encore. Il peut, par accident, surprendre un secret qu'il serait de son devoir de révéler, celui d'un crime, disons. Son premier mouvement sera d'agir en honnête citoyen, et de parler. Et c'est là que cette trace de faiblesse se révèle, voyez-vous. Il entrevoit la chance d'obtenir de l'argent sans effort. Beaucoup d'argent. Il veut cet argent, il le convoite... et ce serait si facile. Il n'a rien à faire pour cela, sinon se taire. Le premier pas est fait. Puis son appétit grandit. Il lui faut sans cesse de l'argent, encore plus ! Il eprouve un véritable vertige devant la mine d'or qui s'est ouverte à ses pieds. Il devient gourmand, et son avidité le perd. On peut faire indéfiniment pression sur un homme et pas sur une femme. Car les femmes gardent au cœur un grand désir de vérité. Combien d'époux infidèles emportent tranquillement leur secret dans la tombe ! Mais combien de femmes infidèles ruinent leurs vies en avouant tout à ces hommes-là, leur jetant la vérité à la figure ? Le poids était trop lourd. Dans un moment d'insouciance téméraire - qu'elles regretteront après coup, bien entendu -, elles oublient toute prudence et proclament la vérité. Ce qui, sur le moment, leur procure une immense satisfaction. Je pense que, dans notre ainsi, n'est-ce pas? La tension est devenue trop forte pour la victime, et ce fut, comme dit le proverbe, la fin de la poule aux œufs d'or. Mais pas la fin de l'histoire. L'homme dont nous parlons a peur d'être découvert. Ce n'est plus le même homme que... que seulement un an plus tôt, peut-être. Son sens moral s'est émoussé, c'est bien le mot ? Il est désespéré, prêt à tout, car s'il est découvert, il est perdu. Et alors... le poignard frappe.
- Ah, les femmes ! s'exclama Poirot en français. Elles sont fantastiques. Elles inventent au hasard, et comme par miracle elles ont raison. Non, pas vraiment par miracle. Elles observent, sans même en avoir conscience, une infinité de détails. Leur subconscient additionne toutes les petites choses et elles appellent le résultat intuition. Moi, je connais cela, voyez-vous. Je suis très fort en psychologie.
Il bomba le torse d'un air si ridicule que j'eus bien du mal à ne pas éclater de rire. Puis il lampa une gorgée de chocolat et s'essuya délicatement la moustache.
Car si la vérité peut ne hideuse en elle-même, elle sera toujours belle et fascinante aux yeux de celui qui la cherche.
Ma chère Caroline, dis-je, il n'y a aucun doute quant à sa profession. C'est un coiffeur retiré des affaires. Regarde sa moustache.
- J'avance l'hypothèse que le meurtrier portait des gants, ou une étoffe quelconque autour de la main. (...)
- Mais pourquoi ?
(...)
- Pour rendre le problème encore plus problématique.
- Je n’irai pas jusque-là, rétorqua l’inspecteur, mais je dois avouer que M. Poirot attache un peu trop d’importance à ce détail. Nous avons de meilleurs indices : les empreintes digitales, par exemple.
…
Comme cela lui arrivait souvent lorsqu’il s’animait, Poirot devint subitement très continental.
- Monsieur l’inspecteur, s’écria-t-il dans un anglais hésitant entrecoupé de français, prenez garde au…au chemin aveugle, non…comment dit-on ? la petite rue ne débouche nulle part.
…
- Une impasse, c’est cela ?
- Oui, voilà : l’impasse qui ne mène nulle part. Et les empreintes, c’est la même chose : elles ne vous mèneront nulle part.
Caroline se pourléchait comme une chatte devant un bol de crème. Pour un peu, elle aurait ronronné.
Il faut que je remette mes idées en ordre. Oui, de l’ordre et de la méthode, je n’en ai jamais eu autant besoin. Tout doit concorder… chaque élément trouver sa place, sinon…sinon je suis sur une fausse piste.
Elle veut savoir d’où il vient, ce qu’il fait dans la vie, s’il est marié, comment est ou était sa femme, s’il a des enfants, le nom de jeune fille de sa mère…A mon avis, l’inventeur du questionnaire pour l’établissement des passeports devait avoir un caractère assez proche de celui de ma sœur.
Ne vous ai-je pas répété trentre-six fois qu'il ne sert à rien de vouloir cacher quelque chose Hercule Poirot ? Ce qu'on lui cache, il le trouve toujours.