Passager pour Francfort

- Ah! ces étudiants! s'écria M.Poissonnier.
C'était un membre du gouvernement français qui avait les étudiants en horreur, et si on le lui avait demandé, il n'aurait pas hésité une seconde à déclarer qu'il leur préférait nettement une bonne épidémie de fièvre asiatique ou même de peste noire. N'importe laquelle de ces maladies était, dans son esprit, préférable à l'agitation estudiantine. M. Poissonnier rêvait parfois la nuit d'un monde merveilleux où il n'y aurait pas d'étudiants.

On a sa fierté, vous le savez bien, et tant qu'on peut encore clopiner en s'aidant d'une canne ou se cramponnant à tout ce qui vous tombe sous la main, on n'a pas envie d'avoir l'air absolument croulant ou impotent.

-Une cure ? […]
-C est le nom qu’on employait autrefois, quand j’étais jeune, expliqua-t-elle. Un allait faire une cure à Marienbad, à Carlsbad ou à Baden-Baden. Et l'autre jour, j'ai justement lu quelque chose dans le journal à propos d'une nouvelle station thermale ultra-moderne. Non que je sois fanatique de modernité, mais elle ne me fait pas peur. Je veux dire que cela n'a pas
dû beaucoup changer : des eaux qui sentent les œufs pourris, le dernier cri de la diététique et de la marche à pied pour aller faire sa cure, ou prendre les eaux, ou Dieu sait comment ils appellent ça aujourd'hui, à l'heure la plus malcommode de la matinée. Et j'imagine qu'on vous fait des massages ou à tout le moins qu’on vous tripote. On vous faisait
des applications d’algues autrefois.

Oui, je suis vieille. Évidemment, tu ne sais pas ce que c'est que d'être vieux. Si tu n'as pas mal quelque part, c'est que tu as mal ailleurs.
Ce sont ou des rhumatismes, ou de l'arthrite, ou un asthme affreux, ou la gorge enflammée, ou une cheville foulée. Toujours quelque chose. Rien de bien méchant, mais quand même.

Dans tous les pays, on se sert de la jeunesse, on l'excite, on lui fait hurler des slogans dont elle ne comprend pas toujours le sens… Et il est très facile de déclencher une révolution par de telles méthodes, car les jeunes ont toujours eu tendance à faire preuve de rébellion. Ils se révoltent, démolissent, veulent faire un monde nouveau, mais ils sont aveugles. Ils ont un bandeau sur les yeux et sont incapables de voir où on les entraîne. Que se passera-t-il ensuite ? Que trouveront-ils devant eux en ouvrant les yeux ? Et surtout, qui est derrière eux pour les pousser? C'est là qu'il y a quelque chose d'effrayant. Vois-tu, il y a toujours quelqu'un qui tient la carotte pour faire avancer l'âne, mais il se trouve, en même temps, quelqu'un d'autre derrière pour l'exciter avec un bâton.

L'idéalisme naturel à la jeunesse se nourrit d'un désir de plus en plus vif de détruire ces deux aspects de la vie moderne que sont l'injustice et le bas matérialisme.

j'ai toute ma vie essayé de mettre un peu de bon sens dans la cervelle des gens. Plus ils sont intelligents, moins ils ont de bon sens.

La richesse ne peut qu'augmenter quand elle est en excès.

C'est si facile de fomenter une révolution ! C'est un penchant nautrel, chez les jeunes. Les jeunes entrent toujours en rébellion. Ils se révoltent, ils cassent tout, ils veulent changer le monde. Mais ils sont également aveugles. La jeunesse a les yeux bandés. Ils ne voient pas où tout cela les mène. Que va-t-il en résulter ? Qu'est-ce qui les attend ? Et qui les pousse par derrière ? C'est cela qui est effrayant. Quelqu'un tient la carotte, tu vois, pour faire avancer l'âne, mais en même temps, il y a quelqu'un derrière l'âne qui excite celui-ci avec un bâton.

- Vous êtes jeune, fraîche et sentimentale.
- C'est exactement comme ça que je me sens. Les filles n'éprouvent plus cela, aujourd'hui. Elles frôlent l'orgasme ou tombent dans les pommes dès que quelqu'un joue de la guitare ou donne de la voix, mais elles ne sont pas sentimentales.