Je le haïssais parce qu'elle avait raison. C'est tellement odieux quand quelqu'un a toujours raison. On se sent soi-même de plus en plus insuffisant.
- Ce n'est pas le coupable qui importe . Ce sont les innocents.
On ne peut pas faire d'omelette sans casser des oeufs, comme disent les Français.
- Votre point de vue relève peut-être d'une trop vive imagination?
- Soit! dit Calgary avec une certaine impatience. Appelez cela de l'imagination, si vous le voulez, mais en conscience, je me sens engagé. Assez étrangement, j'ai ravivé les tourments d'une famille qui avait beaucoup souffert... Cependant, la raison m'échappe encore.
- Rien de surprenant, répondit Marshall. Pendant dix-huit mois vous avez vécu loin de toute civilisation. Il ne vous a donc pas été permis de lire, dans les journaux, les comptes rendus du procès et les détails donnés sur la famille même. En bref, le tout se résume à ceci : si Jack Argyle n'a pas commis le crime - et, selon votre récit, c'est un fait - qui est le coupable? Question qui nous ramène aux circonstances dans lesquelles le drame s'est déroulé. Celui-ci a eu lieu entre dix-neuf heures et dix-neuf heures trente, un certain soir de novembre, et dans une maison où Mrs Argyle était pratiquement entourée des membres de sa famille et de la domesticité. Les portes donnant sur l'extérieur étaient verrouillées et les volets soigneusement fermés.
- Il faut me pardonner… j’avais oublié que je ne devais pas dire de pareilles choses… alors qu’il est… je veux dire alors que toute cette affaire relève du passé…
- … Et est définitivement réglée, ponctua Leo Argyle. Je m’efforce, nous nous efforçons tous, d’admettre que Jacko doit être considéré comme un malade, une erreur de la nature. Ne pensez-vous pas, docteur Calgary, que cette expression convient parfaitement ?
- Non ! répondit celui-ci avec une promptitude dont il fut, lui-même, surpris.
Le superintendant Huish soupira en songeant à quel point la vie serait plus facile si les mères n'insistaient pas pour accompagner leurs rejetons et pour s'exprimer à leur place.
- ça n'a même pas l'air convaincant
- la vérité a souvent l'air peu convaincante
L'après-midi touchait à sa fin, quand Calgary arriva à l'endroit réservé aux usagers du bac. Il aurait pu se mettre en route beaucoup plus tôt, mais la vérité était qu'il avait hésité jusqu'à la dernière limite.
Un déjeuner avec des amis à Redquay, et l'interminable évocation de souvenirs communs qui avait suivi prouvaient déjà que, dans son for intérieur, il s'efforçait de gagner du temps. Puis, il s'était empressé d'accepter une invitation à un thé, avant de se rendre enfin compte qu'il ne pouvait plus tergiverser.
- Ce que je voudrais réellement savoir, c'est ce qu'ils pensent d'eux-mêmes. Ce qu'ils pensent les uns des autres.
-Oh ! je vois. Je vous suis maintenant. Vous vous demandez s'ils savent eux même qui a tué ?
- Oui, là dessus je n'arrive pas me faire une religion. Est-ce qu'ils savent tous ? Est-ce qu'ils sont d'accord pour garder le silence ? Je ne pense pas. Je pense qu'il est même possible qu'ils aient tous des hypothèses différentes.
[...]
- Pourquoi vouloir tuer sa mère adoptive ?
- Il n'y a aucune raison, à notre connaissance, mais il peut y en avoir une.
- Qui le saurait ?
- Ils le savent tous répond Huish. Mais ils ne nous le diront pas. Pas s'ils sont conscients, j'entends.
- Je discerne chez vous des intentions diaboliques, sourit le major Finney. A qui allez vous vous attaquer ?
Micky parlait de nouveau :
- Alors, on parie ? Lequel d'entre nous va être accusé du crime ?
D'un geste sec, Léo raccrocha et s'éloigna rapidement de la table du téléphone.
- Que vous a-t-il donc dit ? demanda Gwenda.
Mise au courant, la secrétaire haussa les épaules.
- Cette sorte de plaisanterie me semble déplacée.
Léo lui lança un bref regard, avant de répondre très doucement :
- Peut-être n'est-ce pas tout à fait une plaisanterie.