AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La pensée chatoyante : Ulysse et l'Odyssée (19)

La guerre ne connaît ni limite, ni répit, ni frein, ni rivaux. Quand Grecs et Troyens s’affrontent, leur clameur domine le tumulte de la mer, qui soulève ses flots très haut sur le rivage, sous le souffle de Borée ; elle domine le grondement du feu qui brûle dans les gorges d’une montagne ; et le hurlement du vent dans le feuillage luxuriant des chênes. La guerre triomphe des phénomènes naturels : mais dans la nature – dans la mer, dans le feu, dans le vent, dans la rosée même – réside la même force destructrice, la même nécessité qui se déchaîne dans la plaine de Troie. Cette force blesse les êtres plus délicats : le coquelicot alourdi de rosée penche la tête d’un côté ; le peuplier, la cime chargée d’une frondaison touffue, tombe à terre dans la poussière et se dessèche près de la rive du fleuve ; l’olivier, constellé de fleurs blanches, est arraché par le soudain tourbillon des vents. Les jeunes guerriers qui tombent devant la mer sont eux aussi des coquelicots et des peupliers abattus par le vent ; et leurs vies antérieures, leurs parents, leurs femmes et leurs enfants s’effacent aussi. Ainsi, il n’y a pas de différence entre la nature et l’homme : tous deux sont fragiles et peuvent être blessés ou anéantis par la guerre et la violence des choses.
Commenter  J’apprécie          150
Ménélas se souvient d’Ulysse. Tous pleurent. Télémaque pleure son père, qu’il cherche vainement ; Pisistrate pleure son frère, Antiloque, mort à Troie et qu’il n’a pas connu ; Ménélas pleure son rêve impossible de passer la fin de sa vie aux côtés d’Ulysse, à évoquer le passé ; et Hélène elle-même, qui pourtant ne devrait pas pleurer, parce qu’elle est au-dessus de toute faute et de toute destinée, pleure parce que, peut-être, elle connaît la souffrance comme ses victimes. Pisistrate déclare qu’il faut pleurer nos morts : c’est notre privilège, notre don d’honneur, notre mission, notre devoir. L’espace d’un instant, la civilisation grecque semble atteindre là son point culminant, dans le culte des morts et la déploration.
Commenter  J’apprécie          152
Dans l’Iliade, Hélène habite la demeure que Pâris avait construite au sommet de la citadelle de Troie. Elle se tient dans le mégaron, entourée de ses esclaves, et tisse une tapisserie de couleur pourpre. Elle ne brode pas la terre, le ciel et la mer, le soleil et la pleine lune, les signes célestes ; ni non plus les noces et les festins, les fleurs, les travaux des champs, les vignes chargées de grappes, les danses et les courses des jeunes gens ; ou la gloire des dieux et des héros du passé. Sur sa toile, Hélène tisse les combats et les souffrances qu’endurent les Grecs et les Troyens, ou qu’ils ont naguère endurés à cause d’elle : des événements dont elle est le centre. Elle sait très bien qu’elle en est le centre. Elle n’en tire aucune vanité, aucune arrogance – rien n’est plus terrible que d’habiter dans ce centre – mais plutôt la conscience tragique d’occuper le lieu immobile que les dieux lui ont attribué.
Commenter  J’apprécie          140
De ce qui a été, plus rien ne demeure, plus rien ne survit. Chaque chose naît et se perd au même moment : nos actions, les paroles, les sentiments – comme un fleuve rapide, le temps emporte tout… la mémoire, pour nous, c’est ouïr des choses désormais sourdes, voir des choses désormais aveugles.
Commenter  J’apprécie          110
Avant même sa naissance, Apollon fut redouté des Grecs. Léto, dans les douleurs de l’enfantement, errait par les terres et les îles de la mer Égée ; c’était la plus aimable des déesses, parée de toutes les qualités que son fils devait farouchement ignorer. Elle demanda l’hospitalité. Mais les terres et les îles connaissaient Apollon avant même qu’il ne fût né, et tremblaient à la pensée de le voir fouler leur sol. Elles refusèrent, et le dieu connut ainsi la douleur et la difficulté de venir au monde, comme les êtres humains. Enfin Léto s’adressa à Délos, la plus petite, la plus obscure des îles de la mer Égée. Elle lui offrit un temple. Délos aussi tremblait. Elle craignait de voir le jeune dieu la mépriser et, la foulant de son pied, l’enfoncer dans les eaux : alors les flots la recouvriraient, les poulpes feraient leurs nids sur elle, les phoques viendraient habiter sa surface désertée. Léto jura : « Ici toujours s’élèvera l’autel odorant de Phébos, et son sanctuaire, et il t’honorera entre toutes les terres. » Alors seulement, Délos accepta d’accueillir la mère et le fils.

(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          112
Ainsi les Sirènes, doubles des Muses, produisent un effet opposé à celui des Muses. Elles ôtent la mémoire, au lieu de l’accroître et de la multiplier ; elles donnent la mort, au lieu de conférer aux héros une « renommée immortelle ». Mais cela, dit Circé, n’arrive qu’à ceux qui sont « ignorants », « dénués de connaissance », comme Ulysse se rendant chez Circé avant de rencontrer Hermès.
Commenter  J’apprécie          100
Toute l’Odyssée a un goût de mer : des navires quittent le port, il y a des tempêtes, des ouragans, des calmes plats, des vents favorables, des vents mauvais, des navires qui arrivent au port, des vaisseaux fabuleux, des hommes abandonnés aux flots, des hommes qui meurent en mer, les rivages désolés de l’Océan, ses couleurs, son écume, les aubes et les soleils couchants, Poséidon, dont la menace pèse sur les hommes.
Commenter  J’apprécie          100
Imaginer un paysage tout de mort est presque impossible : l’imagination humaine est obligée d’y infiltrer un soupçon de lumière ; mais Homère y est parvenu avec une cohérence effrayante.

Les âmes qui volettent sont asséchées, desséchées, après le bûcher funèbre. Elles ne possèdent ni humeurs ni liquide – cette eau si abondante dans l’Océan ou sur notre terre, comme source primordiale ou comme pluie. Les âmes sont comme des images reflétées dans le miroir : identiques aux personnes qu’elles ont été dans la vie, mais affaiblies, vides, insaisissables ; elles s’enfuient dès que nous voulons les étreindre. Ou elles sont comme des fantômes, des spectres, des ombres, elles aussi inconsistantes. Ou comme des songes, comme de la fumée. Toutes les analogies possibles reviennent et s’entrelacent pour rappeler la spectralité sans remède qui imprègne d’elle-même tout l’Hadès et, chez Pindare, jusqu’à l’existence. Les âmes n’ont plus d’énergie, ni de conscience vitale, ni d’intelligence, ni de passion, ni de sang, ni de mémoire : pures enveloppes vides emplies de la substance vide du brouillard. Il ne leur reste qu’une voix, résidu de la voix humaine : une stridence sinistre, un piaillement comme celui des chauves-souris ; et elles volettent dans la nuit.
Commenter  J’apprécie          92
Tous les poètes, jusqu’aux temps modernes, ont su cela : écrire de la poésie, c’est faire l’expérience de la liquidité ; et Pindare buvait de l’eau – l’eau d’une source, l’eau de l’Océan – avant de composer des vers. La poésie, chez Hésiode et Pindare, est un « nectar distillé », un ruissellement continu ; les Muses versent sur la langue du roi-poète « une douce rosée », de sa bouche s’écoulent « de douces paroles », de la bouche du bien-aimé des Muses « la voix coule doucement ». Dans cette eau jamais immobile, il n’y a rien d’éphémère : au contraire, c’est justement le flux incessant de la substance océanique qui rend les vers éternels, et aussi ceux qui les composent.
Commenter  J’apprécie          60
La psychologie de l’Odyssée n’est guère moins profonde, riche et compliquée que celles d’Henry James ou de Proust ; simplement, les sentiments restaient implicites, cachés : une forêt de secrets derrière chaque mot
Commenter  J’apprécie          30






    Lecteurs (43) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Pietro Citati (1930-2022)

    Que signifie ce ciel si haut et si serein qui soudain emplit l'esprit du prince André ? Que veut dire ce calme profond qui brusquement interrompt le tumulte de l'histoire et la marche du roman ? Que nous confie cette vision extatique d'un mystérieux au-delà ? Nous sommes en face de la plus grande des révélations religieuses qui illumine l'esprit du prince André : la seule à laquelle il puisse atteindre à travers son rationalisme mathématique exacerbé.

    Zelda et Francis Scott Fitzgerald
    Marcel Proust
    Franz Kafka
    Katherine Mansfield
    Léon Tolstoï

    10 questions
    30 lecteurs ont répondu
    Thème : Pietro CitatiCréer un quiz sur ce livre

    {* *}