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Citations sur Terre natale (62)

I L'INTRUS


Extrait 26

Étendu sur un divan, mon corps déroulé devant moi.
Mais personne derrière. On peut s’écouter parler mais
on ne peut pas se voir se voir. Pas moyen de faire appel
au mot, à l’écoute, au symbole, qui s’oppose au diabole
attaché a ma perte. Parler serait savoir. Le Bien qui réu-
nit et le Mal qui divise, l’amour et la haine, la connais-
sance et l’ignorance, Dieu et le Diable, Narcisse et son
double, Persée et la Gorgone, le même et le tout autre,
la pétrification, le froid qui vous saisit. L’Enfer fait de
glace et non de feu… etc.

p.29-30
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I L'INTRUS


Extrait 25

§§ 2

Au bout, la mort. Et l’on ne saura pas, dans cet aban-
don final de la confiance en soi, qui est celui qui meurt.
Rideau noir en effet, plus aucune chair à désirer, à regar-
der, à posséder une fois qu’on l’a soulevé. Le rideau chu
sur le miroir.
(À Strasbourg, au porche de la cathédrale, se dresse
la figure du Tentateur, tenant dans sa main droite une
pomme, et qui ricane. Il y avait une façon simple de maî-
triser le Mal. Chauffer le mal, comme on chauffe une
blessure, pour l’adoucir, le ramollir, le chasser. C’était ce
que faisait ma mère, jusqu’à ressortir la pomme du four,
une demi-heure après, dorée et ruisselante de beurre.
En Mayenne, ou les pommes tombent partout dans les
prés, c’était le dessert quotidien, comme le pain. Dans
l’obscurité du cellier, des centaines d’autres pommes
attendaient sur des claies, pareilles a la pomme qu’on
voit posée sur un rebord du poêle, près du vieil homme
enfoncé dans son sommeil, indifférent a la femme nue et
potelée qui se tient près de lui, dans la gravure de Dürer
qu’on appelle Le Songe du docteur.)

p.29
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I L'INTRUS


Extrait 25

§§ 1

La vie serait-elle la déperdition lente de cette confiance
de l’enfant qui ouvre à peine les yeux, et qui lui fait téter
son pouce ou presser le sein pour saisir les frontières de
son être, confiance perdue à peine atteinte, jusqu’à ce
moment où, disparue la foi qu’on avait trouvée en soi
à sa naissance, se disperse à jamais le capital infini que
l’on croyait avoir ?

p.28
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I L'INTRUS


Extrait 24

Qui n’a jamais vu de jeunes animaux jouer à cachecache
entre eux, voire avec des humains ? Ils se dissimulent
derrière un meuble, un arbre, puis passent la
tête, un instant, aboient, ou laissent échapper un cri,
puis se rencognent dans leur trou. Le jeu peut durer,
parfaitement réglé, une sorte de dialogue ingénu, de langage
primitif qu’ils essaient d’établir avec leurs maîtres.
S’avancer et se refuser, bien plus que le jeu malin du
fort-da enfantin, ici-là-bas, une sorte de question-réponse,
de « oui-non », laissant deviner des trésors de bonté et
d’intelligence, le besoin et la peur d’aller vers l’autre,
l’attirance et la répulsion.

p.28
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I L'INTRUS


Extrait 23

Envolé, le mouvement de l’enfant qu’on voit représenté
sur quelques-unes des plus belles Maternités peintes au
Quattrocento, serrant dans ses mains un oiseau pour l’offrir
à sa mère – lui donner comme une part de lui-même,
vivante et chaude, et tout aussitôt, presque du même
mouvement, le lui refuser, serrer le poing, ne pas le lui
donner. Quelle autre religion a montré plus de tendresse
que cette religion ou l’Enfant, dans le même geste, se
présente comme la victime et comme le sauveur ?
Sur d’autres tableaux, le même enfant enferme dans
sa main gauche le sein de sa Mère, mais sa main droite,
dissimulée sous lui, serre une pomme toute ronde, dure
et colorée. Le mauvais sein et le bon sein, des histoires
anciennes… Le corps morcelé, et la pomme, la fameuse
pomme, le mal de l’origine… Affirmer, s’emparer, se sai-
sir, ce serait perdre l’objet de son désir. Le malheur du
langage serait la, la duplicité des mots, qui vous retirent
ce qu’ils vous promettent.
Quelle feintise était celle de la langue qu’on tentait de
vous apprendre, dans ce mouvement contrarié « qui va
de l’appétit au dégout et du dégout à l’appétit », comme
l’avait écrit Bossuet ?

p.27/28
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I L'INTRUS


Extrait 22

Enfant, je croyais savoir qui j’étais : j’étais celui qui
étendait sa main vers sa mère ou du même mouvement,
parfois, et de la même main, au dernier instant, tentait
de la frapper, le gamin qui saisit un objet pour le lancer
loin de soi. Que saisir sinon qui s’échappe ? Quelle peur
de perdre ce que l’on est sur le point de gagner ?
La mort au cœur de la possession. Je retirais ma main
au moment même où j’allais toucher au but. Comme
s’il existait un but plus désirable encore que celui qu’on
découvre a portée. Je différais la prise d’un geste capricieux.
Et comme anticipant ma déception, je frappais
celle que je jugeais responsable de ma peine, alors qu’elle
n’avait jamais été que l’occasion de ma joie.
Plus tard, quand on écrira, c’est le même mouvement
absurde, désespéré, qui fait qu’au moment de saisir la
phrase que l’on cherchait, comme assuré de s’emparer du
trésor, au lieu de l’inscrire sur le papier, on se lève
brutalement, et l’on quitte le bureau, comme si la joie était
trop forte, le cadeau trop inattendu, ou que le fait même
qu’il vous soit donné lui retirait d’un coup sa valeur…
Et quand on reviendra calmé, vers la table de travail, le
don du ciel se sera envolé et c’est seul et livré a soi-même
qu’il faudra tout reprendre, mais il n’y aura plus rien.

p.26-27
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I L'INTRUS


Extrait 21

§§ 2

De quelle nature est le désir des gens qui prennent un
pseudonyme pour se construire, à son abri, une identité ?
Ou bien de ceux qui parlent d’eux à la troisième personne,
pour afficher une autorité qu’ils n’ont jamais eue ?
Dans les grands hôtels, on offre parfois au visiteur un
stylo gravé à son nom. L’encre qui s’en écoule a-t‑elle
pouvoir de conférer aux mots qui seront grâce à lui tracés
une autorité suffisante à confirmer l’identité du client
de passage ?

p.26
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I L'INTRUS


Extrait 21

§§ 1

Ceux qui souffrent d’un membre fantôme sont soumis
à une étrange thérapie qui consiste à les mettre devant
un miroir et à leur faire constater, de visu, que là ou ils
souffrent, il n’y a rien, ni pied, ni main, ni bras. Au bout
de quelque temps, ils sont convaincus que le membre
n’existe plus, et peu a peu leurs souffrances disparaissent.
Comment me convaincre que c’est mon corps qui s’est
séparé de moi, que mon corps tout entier est devenu un
corps fantôme, dont rien ne pourra m’assurer qu’il est
à moi, mais dont je souffre encore en chacun des points
la présence ?


p.26
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I L'INTRUS


Extrait 20

Cette  nuit,  voulant aller aux  toilettes,  je n’ai rien
retrouvé de la chambre ou je dors. À tâtons, j’ai cherché
la porte, elle est là, à côté du lit. Mais il n’y avait rien,
qu’un mur lisse et nu. Ce qui est à gauche était à droite,
et ce qui était à droite était passé à gauche. Comme une
image dans une glace, mais sans lumière. Continuant à
me cogner à des meubles inconnus, j’ai tenté de trouver
une autre issue, dans le coin symétrique. Mais il n’y en
avait pas. J’ai commencé à avoir peur. Je me souvenais
en fait de la chambre ou j’avais dormi la semaine passée
et dont la disposition m’était restée en mémoire et non
de la chambre ou je dors depuis des années.
Ce trouble que j’éprouve envers moi-même : je ne
reconnais plus mes propres extrémités, mes issues, mes
ouvertures, mes chemins. J’habite un corps qui m’est si
étranger que je ne sais plus comment en sortir – ni com-
ment y rentrer.
...

p.25
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I L'INTRUS


Extrait 19

Un livre déplacé devient  introuvable. Je me sens in-
trouvable. Qui m’a déplacé, de sorte que je ne pourrai
plus me lire ?
La coïncidence est le début de l’effroi, Narcisse et son
double. Un corps fantôme ? Dans un miroir, le corps
devient spectral. Pourquoi voile-t‑on les miroirs lorsque
la mort frappe un foyer ? Pourquoi aussi voile-t‑on le
corps des femmes pour les rendre désirables, les soies, les
voilettes, les guipures, les jarretelles, les bas ? Comme s’il
fallait les endeuiller avant de pénétrer. La perte : Marie,
mère, et toujours vierge. Et pourquoi pas le gain de la
virilité ? Le don de l’autre. De quelle absence le désir de
l’autre prétend-il apporter le salut ? Désirer l’autre voilé
de noir, comme on voile de noir le miroir des maisons
endeuillées. Il me faut être absent à moi-même pour désirer
me recomposer dans un corps qui n’est pas le mien.
...

p.24-25
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