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Citations sur Hors du charnier natal (15)

Le temps des adieux est un temps froid et sec : la santé y gagne ce que l'affection y perd. Nikolaï Mikloukho-Maklaï, qui a tout juste passé la vingtaine, embarque donc aux côtés du zoologue Haeckel.

Ce dernier a perdu sa femme et, paraît-il, le goût de vivre, à croire qu'un secret nichait et palpitait dans l'autre et qu' en rentrant sous terre cette autre a préféré emporter avec elle tout ce qui aujourd'hui pourrait aider le veuf à ne pas vouloir la rejoindre...

Nikolaï, lui, reste sourd aux stratégies du deuil, dont tant selon lui se repaissent, au point qu'il finissent par trouver un début de saveur dans son complexe entretien, tant leur fait horreur le rire de l'oubli. Quitter l'autre lui est facile. Nécessaire. Il ne voit aucun mystère dans la perte, seulement un raccourci permettant l'esprit de devancer la chair. Aux enterrements, c'est tout juste s'il ne félicite pas les vivants de leur endurance...


Le soir, quand Nikolaï s'enferme dans sa cabine où le roulis dicte sa loi et casse les assiettes, ce n'est pas à Haeckel qu'il pense, ni à la défunte madame Haeckel, ni même à lui. Il pense aux pensées qui l'habitent, et qui se moquent des cierges et des catafalques. Il pense aux éponges, mortes-et-non-mortes, qui essaiment au fond des mers l'odieuse sagesse du temps. Au plancton, dont la danse iridescente recèle sans doute des motifs édifiants. Il pense à tout ce qui se mesure, se pèse, se transforme, se dissout. Puis il bourre sa pipe et étudie les volutes de fumée que le plafond aplatit en un champignon indécis...

Les proches ne l'intéressent pas, ; les proches ne le retiennent en aucun point de la surface de son être, qui pour lors ne connaît que tension, étant réduite à une passion : celles des éponges. Il sent qu'en elles, dans ce semblant de cœur qui bat en chacun de leurs alvéole, bruit une énigme dont même Darwin n'a pas soupçonné la portée. (En français, alvéole peut être masculin ou féminin, ce qui réjouit, même si l'on sait hélas que ce sont les hommes qui régentent le genre de choses.)...
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Le Grec me croit crétois et le Crétois me soupçonne athénien ; l'Arabe m'estime juif et le Juif m'imagine arabe ; à n'en pas douter, je deviendrais vite Danois honteux en Suède et Martien récalcitrant aux yeux d'un Vénusien. Si j'étais chien, les chacals me prendraient à tous les coups pour une hyène - il est vrai que mon rire les y inciterait. De même que je ressemble de plus en plus à mon père à mesure que je traverse la galerie des outrages par laquelle il lui a bien fallu transiter pour mériter d'imploser lentement, de même il est possible qu'un éternel métèque fasse le guet en moi, prêt à brouiller les cartes généalogiques, bien décidé à me rappeler, si besoin était, qu'un aïeul dut fauter quelque part en amont. Rastaquouère : c'est aussi une vocation.



Enfants, les petits culs-blancs de ma cité de banlieue n'hésitaient pas à me traiter de "bicot", un terme que je ne connaissais que trop, d'abord parce que c'est ainsi que s'appelait un de mes héros de bande dessinée d'alors (dont la sœur portait des chemisiers vaporeux...), ensuite parce que j'entendais souvent le mot expectoré par la bouche de mon grand-père paternel, pied-noir mal remis de son dernier voyage maritime, bien que ses poches eussent été encore bien remplies. Ainsi, je ressemblais donc à ceux-là mêmes qui avaient chassé ma famille d'Algérie ? Par quelle magie ? Les maîtres ont des secrets dont ils confient à leurs esclaves le soin de les transmettre à leurs fils, c'est bien connu. Mon grand-père vénérait la blondeur de sa première épouse ainsi que les Vénus graciles de Botticelli mais gardait visiblement rancune à tous ces "bicots" qui lui avaient construit puis "confisqué" sa demeure. Moi-même, je lui aurais bien confisqué ses biens, en plus de ses conseils édifiants, mais la caresse précède souvent les coups chez les êtres crédules dont j'étais. Adolescent, je devins la proie facile de la flicaille giscardienne qui, alors, semblait avoir élu domicile dans les couloirs du métro et trouvait déplaisant que je réponde à leurs questions par des imparfaits du subjonctif.



Je pourrais, certes, trouver un certain plaisir, voire un vague réconfort, dans cette imposture involontaire, dans la mesure où toute imposture se double d'un précieux sentiment de puissance. Après tout, n'est-il pas judicieux d'avancer masqué en plus d'une circonstance ? Écrire, n'est-ce pas précisément cela ? Quand j'écris, je laisse aller au casse-pipe qu'est le lecteur non pas moi-même mais ce double légèrement maquillé, possiblement dégénéré, qu'est l'auteur. En vérité, il m' a fallu plusieurs décennies pour accepter de me ressembler et laisser s'avancer vers les autres à la fois moi et l'hôte policé qui m'héberge - et ce grâce au temps qui, mieux que le fantasme assumé de la race, vous façonne durablement la gueule et sans état d'âme...
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Non, décidément , je n'entends rien à cet homme, à ce Nikolaï, ou du moins pas grand-chose. Entre ce Russe que rien ne hante sinon son propre spectre et moi qui bouffe du papier du soir au matin, zéro connivence, c'est certain. Je n'y ferais même pas mon nid, dans ce gandin. Mais qu'est-ce qui m'empêche, du fond du rotin de mon âme, de ronger, de dévorer à petites dents de lait ce qui reste de sa carcasse dès lors que son destin s'invite sur ma page ? C'est sans danger, je l'ai dit. Et puis ne nous leurrons pas : les vies ne se racontent pas, au mieux on les recommence, tête la première, cul en comète, on les déforme comme des vêtements en oubliant qu'elles et qu'ils furent, aussi armures. Pour raconter une vie, il faudrait en avoir saisi non ce qu'elle a laissé, mais tout ce qu'elle a tu, caché, enfoui, détruit, tout ce noir magma informe qui infuse jusqu'à la moindre de nos respirations. La masse de nos secrets forment tumeur, qu'ils soient bénins comme le vol d'un sucre (ou d'une voiture) ou plus graves, comme un meurtre (d'après la légende familiale, mon arrière-grand-père trucida un homme en duel à Majorque, ô vanité du pittoresque), et que dire de ces secrets dont nous n'avons nous-même pas la clé, ignorant souvent pourquoi nous avons agi ainsi, menti ainsi, esquivé ainsi, trahi ainsi, etc. Car ces secrets là, plus obscurs encore et comme pris dans la gangue de secrets pour ainsi dire officiels, finissent, les ans aidant et la force s'usant, par former une insondable lie sur laquelle poussent, comme sur un fumier qu'on croyait sec et sourd, d'aberrantes fleurs morales dont nous sentons bien que nous connaissons le pollen, et les effets de ce pollen, mais que pour rien au monde nous n'oserions cueillir, alors même que c'est de leur parfum que s'enivrent nos moindres pensées. Et c'est cette crasse indifférenciée que certains prennent pour l'âme...
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Faut-il être fat pour s’imaginer qu’en écrivant un livre on fera autre chose que soulever des couvercles, des couvercles posés non sur d’odorantes marmites, mais à même le terreau moite où ça germe, où ça se rebiffe. Une fois de plus, dans mon imprudence, je redresse le capot de l’ordinateur et, comme dans Kiss me Deadly, ce film de gangsters et d’uranium enrichi, l’éblouissante fureur de l’innommé m’affole de ses mortels UV. S’aveugler exige du doigté, c’est une évidence.
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C’est souvent l’écriture qui me conçoit, me déçoit et m’assoit, me pense et me dirige, me bouscule et m’égare, m’entrave et m’élance. Je lui fais aussi confiance qu’à cet « ennemi déclaré », qu’appelait Genet de tous ses vœux.
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Je n’écris pas pour me connaître. J’ai toujours, je crois, écrit pour me déprendre. Me déprendre de quoi ? L’écriture, telle que je la conçois, me permet justement de ne pas m’attarder sur la nature indélicate de ce dont je me déprends, et qui est sans doute moi-moins-l’écriture.
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Il m’arrive de penser qu’écrire est un moyen d’éviter tout mouvement brusque, à moins qu’il ne s’agisse carrément du contraire : écrire comme si on ne savait faire que des mouvements brusques, han !, mais sans que la chose se voie, chcht !, sans que la violence à l’œuvre se fasse, d’emblée, ressentir. De la bonne vieille épilepsie, mais au ralenti, dans l’illusion de la souplesse, pour ainsi dire à couvert.
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Les hommes qui tombent ont la mémoire bancale. Leur mémoire, je le sens bien, tombe elle aussi, et plus vite qu’eux-mêmes, comme pour leur indiquer le chemin, la méthode, et dans les plis de l’oubli ils apprennent à leur insu qu’eux aussi laisseront de vagues traces, mais hélas invisibles aux yeux, et sans doute aux cœurs, des traces que leurs successeurs piétineront sans penser à mal, comme des coquillages qui de toute façon ne survivront pas à la prochaine marée.
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Enfant, nous ignorons souvent dans quel charnier moral nous évoluons ; tout nous est anecdote, rien ne nous rebelle vraiment, hormis ces injustices qui n’en sont qu’à nos yeux.
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Les femmes de ma famille, elles, sont plus résistantes, elles préfèrent trébucher, se fouler, boiter, affaire de discrétion, ça fait moins d’ombre aux hommes encore en vie qui se racontent leurs histoires de dégringolades en dégustant leur godet d’arsenic.
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