La joie, il la laisse volontiers aux autres. Cette joie dont je l'ai vu imprégné toute une courte journée, il en connaît le prix. Il sait qu'il faut la payer de centaines d'heures de souffrance.
J'écris ces pages pour tenter de contribuer au sauvetage de quelques millions d'enfants.
" C'est cela la civilisation: tout avoir à portée de sa main, ne rien avoir à portée de son coeur"
Bernard, écoute...
Mais si c'est trop dur à écouter, alors contente-toi d'entendre. Cela passera à travers ensuite.
Car, maintenant, tu vas les entendre. Parce que c'est du fond de l'abîme que j'en appelle à toi, Bernard. Puisque tu es le verbe de ceux dont nous tentons d'être l'épée.
Du fond des charniers du Viêt-nam, du fond de la grande nuit africaine aux enfants morts ou près de l'être, et qui crient ou meurent dans un silence encore plus inexpiable que leur hurlement. Inexpiable - pour nous.
Bernard, Bernard, j'en appelle à toi. (pge 83)
Aucune illusion, toutes les espérances.
Je vais en écrire quelques unes, il y en a tellement que je voudrais ajouter.
Il nous a été donné tous les pouvoirs et nous les avons utilisés pour tuer
Certains enfants décharnés qui ne peuvent plus tenir debout, sont portés ou tirés comme des haillons dont les pieds touchent à peine le sol.
Tués, tous leurs parents sont morts
C'est de notre insensibilité que meurent ces enfants.
Un homme un jour a dit en rentrant chez lui : "Tiens, je viens de rencontrer un nègre", au lieu de dire : "j'ai rencontré un homme"
Le regard de cette fillette dont le feu liquide tombé du ciel a dévoré les paupières et qui hurlera des jours et des nuits sans pouvoir dormir.
Un médecin d'une certaine Croix- Rouge me donna ce conseil :"Au lieu de faire venir ces enfants du Viet -nam, vous feriez mieux de leur envoyer des chasse-mouches."
Certains ont fait que la terre devienne aride. Leur science leur a procuré les moyens de semer sur des pays entiers de quoi tuer la vie même des forêts, des champs, des prairies.
Ca porte un nom : la défoliation.
Ca porte un autre nom : la mort.
Ca s'appelle également : crime contre l'homme et contre la nature. Et ça peut aussi s'appeler suicide.