Et puis, les rares fois où il y avait du vent, en automne ou au printemps, à l'autre bout des grands boulevards de Milan, les montagnes apparaissaient. Ça arrivait après un tournant, sur un saut-de-mouton, et les yeux de mes parents, sans qu'aucun dise rien à l'autre, y couraient aussitôt. Les cimes étaient blanches, le ciel inhabituellement bleu, une impression de miracle. En bas, dans cette plaine qui était la nôtre, il y avait les usines en ébullition, les HLM surpeuplés, les heurts entre police et manifestants, les enfants battus, les filles-mères ; là-haut : la neige.
Si je vais vivre dans les bois, personne ne me dira rien.
Si une femme le fait, on la traitera de sorcière.
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Le brouillard couvrait les vallées à nos pieds et le ciel était limpide, couleur de nacre, les dernières étoiles pâlissant à mesure qu'il s'éclaircissait.
Ce qui est beau, avec les lacs alpins, c'est que l'on ne s'attend jamais à les trouver si on ne sait pas qu'ils sont là, on ne les voit pas tant que l'on n'a pas fait le dernier pas, on dépasse la berge et là, sous les yeux, c'est un paysage nouveau qui s'ouvre.
Après l'enterrement discret de mon père j'avais réfléchi longuement à sa solitude, cette espèce de conflit permanent qu'il y avait entre lui et le reste du monde : il était mort au volant de sa voiture sans qu'aucun ami le regrette. Du côté de ma mère, je voyais les fruits d'une vie passée à cultiver les relations, à les soigner comme les plantes de son balcon. Je me demandais si on pouvait acquérir un don pareil, ou si on naissait avec, et c'est tout.
Au cours de ces années, l'hiver devint pour moi la saison de la nostalgie.
[Mon père] n'était pas du genre à revenir sur ses pas, ni n'aimait repenser aux jours tristes, mais certaines fois, en montagne, même sur les montagnes vierges où aucun ami n'était mort, il regardait le glacier et quelque chose dans sa mémoire refaisait surface. Il disait comme ça : l'été efface les souvenirs de la même façon qu'il fait fondre la neige, mais le glacier renferme la neige des hivers lointains, c'est un souvenir d'hiver qui refuse qu'on l'oublie.
Elle me regardait avec mélancolie, comme si elle était en train de me perdre. Elle était convaincue que le silence entre deux personnes était le début de tous les problèmes.
Elle rendait les armes, me laissant à mes pensées :"l'important pour moi, c'est de savoir que tu vas bien."
Peut-être aurions-nous vraiment pu rester là-haut pour toujours, et personne ne s’en serait jamais aperçu.
- Tu veux dire que ça va prendre du temps ?
- Je ne sais pas. Une chose après l’autre, tu veux ? Là, on boit une bière.
- D’accord, on boit une bière.