Qui peut m'expliquer pourquoi, depuis que nous habitons notre nouvelle maison, elle ne m'aime plus?
- C'est triste, fini la liberté !
- Non, c'est maintenant qu'il est vraiment libre, a répondu ma tante Pauline.
- Comment libre, puisqu'il retourne s'enfermer chez un enfant et redevient un jouet !
- Non Nora, il est libre parce qu'il choisit lui-même de redevenir un jouet et de s'offrir à l'enfant. Celui qui choisit ce qu'il veut devenir est libre.
- Ecoute, ma poupée, les souvenirs, c'est bien, mais il ne faut pas trop s'encombrer non plus, sinon on étouffe, tu comprends. On n'a plus de place pour accueillir des choses nouvelles ! Tu verras, très vite nous remplirons le grenier !
Décidément, cette nouvelle maison c'était pour elle une vie nouvelle. Et l'ancienne, alors ?
- Oui, tu as raison, c'est bête de pleurer.
- Non, Nora, ce n'est jamais bête de pleurer. Les larmes sont déjà une consolation à un chagrin. Il ne faut pas les enfermer en soi.
A chaque fois que, dans un petit bruit sec et sifflant, la lame glissait sur le gros ruban de scotch marron et le tranchait, que le carton s'ouvrait en deux comme une orange, les batterments de mon coeur s'accéléraient.
- Celui qui choisit ce qu'il veut devenir est libre.
Je ne comprenais pas bien comment, redevenu prisonnier d'un enfant, il pouvait être libre.
- C'est un vrai don, a ajouté ma tante dans un souffle.
Je me suis serrée contre elle.
Mais les pas de Michka, qui s'enfonçaient doucement dans la neige tandis qu'il marchait vers la maison de l'enfant malade, s'enfonçaient aussi dans mon coeur.
- D'ailleurs tu te trompes ! N'oublie pas que j'ai deux copines dans l'immeuble et je suis allée souvent chez elles. Quand on entre chez Amélie, c'est comme un véritable voyage dans un pays très lointain. Mais pas besoin de tapis magique. On pousse la porte et hop, on est au pays de ses parents : le Vietnam !
[...]
- Et l'appartement de Juliette, tu sais où il emmène ? En Bretagne. C'est le pays de sa mère. Elle est née là-bas et ne rêve que d'y retourner. Alors chez eux, il y a partout des coquillages, des meubles bretons bretons très hauts qui touchent presque le plafond, des gravures de vieux navires, des bouts de cordages de bateaux enfermés dans des cadres, et du bleu, du bleu partout. Papier peint, moquette, rideaux. Le bleu de la mer qui lui manque. La mer de Bretagne. Quand tu entres chez Juliette, tu pourrais presque entendre les mouettes et sentir les algues. Tu vois ?
Elle m'a répondu en riant :
- Je vois si bien que j'en ai presque le mal de mer ! Et maintenant au travail !