A partir de la BD "Blanc autour" de Wilfried Lupano et Stéphane Fert, et d'autres lectures mettant en scène des élèves noir.e.s confronté.e.s au racisme, à la ségrégation et à la haine, je vous invite à (re)découvrir un pan de l'histoire américaine, en ce dernier jour de Black History Month.
Je souris. Sans raison. Dans certains boulots, c'est un uniforme qu'on enfile en arrivant le matin. Nous, les télévendeurs, c'est un autre prénom et un sourire permanent. Une grimace de sourire.
(...) un beau matin ou presque, on quitte l'enfance et on se réveille, habitant un corps qu'on reconnaît à peine. Un drôle de corps, plein de creux, de bosses et taches d'ombre. Une autre voix aussi pour les garçons. Et pour les filles et les garçons, des désirs non plus de bonbecs, de jouets, mais de peau à caresser, de chaleur à mélanger, de rencontres loin de la maison où personne ne vous connaît sous le nom ridicule de Titou ou de Riri. (p. 55)
J'ai dit à ma mère (...) : "Je préférerais que papa soit mort comme le père de Delphine qui s'est noyé l'été dernier et depuis tout le monde est aux petits soins avec elle. Même les professeurs n'osent pas lui mettre de mauvaise note à cause du traumatisme."
Ma mère est devenue toute blanche et m'a balancé une gifle à me dévisser la tête.
(p. 46)
C'est quoi ce bordel, ce désordre, ce foutoir, où les mères retombent en enfance alors que leurs enfants en sont à peine sortis ?
Je te hais.
Je hais le monde entier.
Comment as-tu pu devenir une menace, toi qui étais le rempart, l'abri.
Ton regard s'est mis à changer.
Par moments exalté, comme excité par une fièvre qui te brûle de l'intérieur et rend tes yeux trop brillants.
Par moments éteint, absent.
Comme un regard de cendres, qui ne se pose plus sur rien.
(...) quand [Papa] est revenu de l'hôpital, plus rien n'a été pareil chez nous.
Il fallait parler doucement, ne plus jouer, ne plus courir, ne plus sauter, ne plus crier.
Et le plus triste : ne plus recevoir d'amis.
Matthias [sept ans], sans rien comprendre, répétait à tout le monde que c'était à cause de Damoclès et de son épée. Et ses copains croyaient que notre père avait un ennemi terrible qui voulait lui faire la peau.
(p. 21-22)
J'ai donné à une petite fille de treize ans, captive comme un oiseau en cage, un peu d'espoir et de beauté. A elle qui, dans sa cachette, rêvait de sentir sur son visage l'air glacé, la chaleur du soleil et la morsure du vent, j'ai donné par mes métamorphoses le spectacle des saisons.
Dans les jardins, sur les avenues, dans les cours d’école, nous les marronniers, tenons bien notre rôle. Aux garçons, nous donnons nos marrons durs, lisses et brillants pour qu’ils fassent des batailles, aux vieux pour qu’ils les glissent dans leurs poches contre les méchants rhumatismes, aux touts petits pour qu’ils les peignent, les transpercent, les collent. Aux amoureux nous donnons l’ombre de notre feuillage. A tous ceux qui attendent, nous donnons notre tronc pour qu’ils s’appuient sans avoir l’air trop bête. Aux oiseaux le refuge de nos branches pour qu’ils construisent leur nids et abritent leur chant, au vent notre immense ramure pour qu’il fasse entendre son murmure et son sifflement.
Du trou noir de sa bouche surgissent encore, comme des rats noirs, des mots violents, vulgaires, obscènes. Des mots qu'elle n'a jamais dits avec une voix qu'elle n'a jamais eue.
(...) c'est un repose-montre. (...) Autrefois on déposait sa montre là-dessus avant de s'endormir parce que si on la mettait sur le marbre de la table de nuit, l'huile de rouage se figeait à cause du froid. Et la montre se mettait à avancer ou à retarder. A faire n'importe quoi. La journée ça allait, grâce à la chaleur du corps. (p. 55)