«
Les Netanyahou » est un roman de
Joshua Cohen, traduit par
Stéphane Vanderhaeghe (2022, Bernard Grasset, 352 p.). C'est aussi un roman qui a reçu le Prix Pulitzer de la fiction en 2022, ce qui n'est pas rien.
C'est « le récit d'un épisode somme toute mineur, voire carrément négligeable, dans l'histoire d'une famille très célèbre » comme le souligne le sous-titre. Et ce récit nous est conté par Ruben Blum, historien et il le précise « oui c'est ça : historien », Quoique le narrateur prétende devenir historique, mais c'est une distinction comme pour les sels chimiques en ferreux ou ferriques, cela dépend de leur degré d'oxydation. Tout est question de vie et d'incarnation. « Les goys croient au verbe fait Chair, mais les Juifs croient en la Chair faite Verbe ». Si on n'avait pas compris qu'il s'agit d'un livre illustrant l'humour juif… Et pourtant cet historien a été anciennement en poste à l'Université Corbin, dans la petite ville de Corbindale dans l'Etat de New York, pas très loin du lac Erié vers l'intérieur des terres.
Il est un jour convoqué chez le Pr Morse, George Lloyd de son prénom, le directeur du département. C'était, on l'a compris, « le chef monarchique » et Blum « sa liaison loyalo-sémite doublée de l'espion lâché au milieu de ses collègues américanistes ». le directeur lui conseille de s'intéresser à Ben-Zion Nétanyahou, « le fils de Sion ». Pourquoi pas, c'est aussi le premier professeur juif recruté à Corbin.
On arrive donc au sujet du roman. Tout cela au bout d'une cinquantaine de pages. Mais c'est sans compter sur les anecdotes liées à sa judéité et à sa condition de New Yorkais. « Lorsque j'étais enfant, il y avait ce manchot scrofuleux qui se postait toujours devant la station du métro aérien situe sur Tremont Avenue, où de son unique main il faisait tinter les piécettes qu'il mendiait dans son gobelet en carton. Bien des années plus tard, je suis retombé sur lui dans un bus de Manhattan. Il portait deux sacs de chez Macy's, un au bout de chacun de ses deux bras, dans chacune de ses deux mains ». Bel exemple de bonnes intentions après intercession auprès de « l'Eglise des Présomptions » dont « nous faisons partie […] tous autant que nous sommes : goys ou juifs, même combat ». le combat est d'autant plus inégal selon que l'on est familier de la ville, New York et de ses quartiers, souvent définis par un culte ou une religion.
Il reconnait une enfance tiraillée « entre la condition américaine d'être libre de choisir et la condition juive d'avoir été choisi ». Que dire alors de la rivalité entre les Blum et les
Steinmetz ? le Bronx et Manhattan. « Cette antipathie entre Blum et
Steinmetz, un marxiste pourrait l'explique en termes de lutte des classes ».
Donc, le professeur Ruben Blum va s'intéresser à l'histoire des Juifs, en commençant par l'Espagne et l'Inquisition « point de non-retour » pour le catholicisme médiéval. « La raison en était la suivante : aussi longtemps que les catholiques auraient besoin d'un peuple à haïr, les Juifs devaient rester un peuple condamné à souffrir ». le roman passe du stade humoristique et satirique au stade polémique.
Puis arrivent les lettres de recommandation. Toutes élogieuses, comme il se doit. Y compris celle d' « un maitre de conférences en assyriologie, aryennologie, philologie et linguistique indo-européennes ». On y apprend aussi que le Pr Ben-Zion Nétanyahou « depuis des semaines et des semaines, n'a cessé d'inonder les membres de notre communauté enseignante de télégrammes sollicitant des lettres de recommandation devant vous être adressées ». Comme quoi « aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années ». Il suffit de naître du bon côté de l'Esplanade des Mosquées. Même prises avec du recul, même si c'est de l'ironie, et on des raisons de penser que si c'en est, on n'est pas très loin de la vérité, cela laisse un drôle de fumet dans les narines.
Ce qu'il y a d'intéressant dans ce livre, c'est qu'il est à lire au second degré, voire à un degré encore plus haut. Initialement présenté comme « un roman désopilant sur les familles dysfonctionnelles et les facéties de l'Histoire ». En fait, à lire entre les lignes, on s'aperçoit qu'il renferme un ostracisme, pour ne pas employer un mot identique, de trois lettres plus court, latent tout au long du texte. Déjà, la distinction entre goys (on devrait dire goyim) et Juifs laisse penser qu'il existe des différences notables entre les espèces humaines. L'implication de la religion dans la vie quotidienne, no seulement personnelle, mais surtout sociétale, même si elle est dénoncée de façon humoristique. Trop de désopilance tue la désopilance.
A moins que le poste du Pr Ben-Zion Netanyahou soit une copie conforme du Prix Pulitzer.