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Critique de Cancie


Cancie
04 décembre 2022
Inspirée du livre Une farouche liberté de Gisèle Halimi et Annick Cojean, publiée en 2020, réédité en 2022 cette BD en est une remarquable adaptation.
Avant de suivre Gisèle Halimi dans les étapes qui ont jalonné sa carrière d'avocate, ce métier où elle « a mis toutes ses forces, ses tripes, sa passion, sa vie », c'est à La Goulette, en Tunisie, le 27 juillet 1927, que nous nous rendons. Si elle est bien née ce jour-là, son père Edouard Taïeb mettra trois semaines avant d'annoncer sa naissance ! Elle était née du mauvais côté. de plus, sa mère portait toute son attention vers ses deux frères qu'elle considérait comme « les essentiels », divisant son monde entre les hommes seigneurs et maîtres et les femmes, leurs servantes, conviction renforcée par la religion.
Gisèle refuse très tôt un destin assigné par son genre et comprend vite que « sa liberté, c'est l'école qui la lui donnerait ».
En septembre 1945, bac en poche elle s'envole pour Paris : devenir avocate pour changer le monde !
De retour à Tunis en 1949, lauréate d'un concours d'éloquence, elle est embauchée dès le lendemain dans le meilleur cabinet de Tunis, elle avait 22 ans !
Ensuite, Annick Cojean et Sophie Couturier, les deux co-scénaristes ont su, avec talent, mettre en valeur quelques-uns des plus spectaculaires combats qu'a menés celle qui, comme le résume si justement le bandeau qui ceint le livre, peut être décrite comme « L'avocate qui a changé le destin des femmes ». je rajouterais : mais pas que…
Elle va spontanément adhérer au mouvement de lutte pour l'indépendance de son pays et faire ses premières armes en défendant des militants des indépendances tunisiennes et algériennes soumis à la torture. Elle va devoir se rendre à Paris pour rencontrer le président Coty puis de Gaule pour obtenir la grâce de condamnés à mort : des vies qui dépendent du bon vouloir d'un monarque…
De 1956 aux accords d'Évian en 1962, elle fera la navette entre Alger et Paris.
L'affaire Djamila Boupacha sera l'une des plus emblématiques de cette guerre d'indépendance et de sa vie d'avocat. La jeune fille, accusée d'avoir déposé une bombe dans un café a été violée et torturée, les militaires s'étant acharnés sur elle. Gisèle n'a qu'une obsession : en faire le symbole, aux yeux du monde entier, des ignominies commises par la France. Déçue par la réaction de certains auxquels elle s'était adressée, elle va cependant rencontrer des alliés avec par exemple, Daniel Meyer, le président de la Ligue des droits de l'homme mais c'est en Simone de Beauvoir qu'elle va trouver la plus précieuse. le 2 juin 1960, sa tribune fait la une du Monde. Son impact est mondial. Simone Veil a également joué un rôle majeur pour le transfert de Djamila en France. Picasso, quant à lui, en faisant le portrait de Djamila en a fait une icône mondiale.
Avec cette affaire, c'est le tabou du viol qui venait d'être brisé.
C'est avec Claude, ce féministe, avocat mais poète, secrétaire de Jean-Paul Sartre qu'elle se mariera en 1961 et avec qui elle partagera tout.
À l'appel de Simone de Beauvoir, elle va s'investir à fond pour faire signer et que soit publié ce fameux Manifeste des 343, ces 343 Françaises qui bravent la législation et proclament avoir avorté, un coup magnifique que Charlie Hebdo immortalisera une semaine plus tard.
S'en suivra la création de l'association Choisir la cause des femmes.
Impossible de retracer cette vie de combats, de passion et d'engagement sans évoquer le procès de Bobigny en 1972, avec l'affaire Chevalier, un cas exemplaire des injustices faites aux femmes, un procès dans lequel elle a attaqué, avec succès, la loi de 1920, cette loi condamnant l'interruption volontaire de grossesse.
L'édition de la BD Une farouche liberté pour célébrer l‘anniversaire de ce procès qui eut lieu il y a tout juste 50 ans est un magnifique hommage rendu à cette illustre avocate.
Son engagement en politique et ses propositions de lois comme la création d'une Europe des citoyennes où les droits des femmes seraient tirés vers le haut ne sont pas oubliés.
Les dessins convaincants, très gestuels et très expressifs de Sandrine Revel et les couleurs de Myriam Lavialle bien adaptées aux situations participent grandement à la mise en lumière de cette grande dame infatigable qu'a été Gisèle Halimi. le tout rend à merveille le dynamisme, l'énergie déployée et la volonté sans faille dont a fait preuve tout au long de sa vie cette ardente défenseure de la cause des femmes. La BD est à mon avis une mise en valeur magnifique et originale du roman.
Deux pleine-pages m'ont beaucoup touchée, celle avec Picasso, fusain à la main venant d'achever le portrait de Djamila Boupacha et celle sur laquelle Gisèle Halimi et Michèle Chevalier, la mère de Marie-Claire arrivant à New-York, à l'invitation des féministes américaines.
Mais rien n'étant jamais acquis et beaucoup de choses restant à faire, Gisèle Halimi, en passant le flambeau, nous demande de garder l'esprit de conquête pour gagner de nouveaux droits, en misant sur la sororité. Pour nous y inciter, un dernier dessin très sobre :
Une fillette, bras croisés et fronçant les sourcils, se tient debout au centre de la toute dernière page avec ces mots : C'est toujours pas juste !
Merci aux Éditions Steinkis et Grasset pour ce fabuleux cadeau !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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