AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



Ecrire que nous n'avons jamais été aussi proches de la fin du monde ne relève pas seulement d'une La Palissade.
Créée en 1947, l'horloge de la fin du monde tient aussi bien compte des accords de paix ou des mesures de sauvegarde de l'environnement que des armements nucléaires, des montées de mouvements intégristes et nationalistes ou des catastrophes écologiques.
Ramenée à l'échelle d'une journée, il reste deux minutes à l'humanité avant l'extinction des feux, à minuit.
En 1984, les Anglais d'Iron Maiden chantaient déjà 2 Minutes To Midnight sur leur album Powerslave en référence à ce sinistre compte à rebours.
Alors combien de temps avant la fin du monde tel que nous le connaissons ? Deux siècles ? Un seul ?
Une ou deux décennies ?
Est-ce la dernière année que j'ai l'occasion de présenter mes voeux aux membres de Babelio, une belle année 2020 ?
Surtout la santé.
Surtout pas de guerre bactériologique, de radiations, de séismes furieux engloutissant tout sur leur passage.
Mais nous ne sommes que les spectateurs d'un monde qui court à sa perte.
On mange bio, on privilégie l'énergie électrique, on trie nos déchets.
L'écologie commence à éveiller les consciences.
Gouttes d'eau dans des océans qui n'existeront bientôt plus.
Quand on voit la haine, la folie, la bêtise et l'égocentrisme de certains dirigeants, difficile de ne pas se demander si tout n'est pas vain.
Dans un monde toujours régi par les grands groupes industriels et la pression du lobbying.
Et puis.
Il y a le dérèglement climatique.
Le réchauffement de la planète.
Les saisons qui partent à la dérive.

Sandrine Collette ne s'attarde pas sur les causes.
Ne montre personne du doigt.
Pas d'effondrement volcanique cette fois faisant de l'Hexagone un nouvel Atlantide, comme dans Après la vague.
Les signes étaient pourtant là : L'air était devenu presque irrespirable, les arbres perdaient leurs feuilles avant l'heure.
"Chaque semaine, à la télévision, il entendait les mots : réchauffement climatique, deux degrés, trois degrés, danger."
"Les saisons avançaient, se décalaient, se mélangeaient."
Apparue du jour au lendemain, c'est encore une vague mais de feu cette fois qui va déferler sur toute la surface de la planète.
Hommes et animaux sont brûlés vifs. Voitures et maisons ne sont plus que ruines noires. Les arbres n'ont plus que des doigts calcinés et squelettiques en guise de branches.
Autant de stalactites meurtrières quand le froid s'installera à son tour.
Pour les rares survivants, enfermés dans des caves ou des catacombes au moment de l'implosion, il n'est question que d'essayer de retrouver ceux qu'ils aiment.
Parmi eux, Corentin, le narrateur. Qui quitte la Grande Ville ( probablement Paris ) pour se diriger vers le sud - Ouest.
Retrouver, peut-être et par miracle, son arrière-grand-mère Augustine.
La seule qui l'ait jamais aimé.
A qui il avait promis de l'emmener voir la mer un jour, sans se douter que les mers allaient disparaître, évaporées.
Impossible désormais de voyager autrement qu'à pieds. Il n'y a plus ni véhicules, plus de téléphones, plus d'électricité.
Même les routes ont fondu.
Un long voyage à pieds l'attend donc. Presque 400 kilomètres à parcourir.
Pour retrouver peut - être ce petit hameau perdu dans Les Forêts dont il est originaire.
Une terre devenue hostile et sans espoir de renouveau.
"Il fallait seulement du temps pour que l'espoir cesse d'être un réflexe et disparaisse."
Les derniers êtres vivants habitent une planète qui ne veut plus d'eux. Vivre encore est contre nature.
Gaïa a recraché insectes, poissons, végétation sans parvenir à achever totalement son travail d'extinction.
Et rien ne semble plus pouvoir renaître de ses cendres.
Alors, se donner un but, et retarder l'heure de se laisser mourir.
Alors, piller les morts, faire ses provisions dans les boutiques pour se nourrir, pour boire et se soigner.
Et s'entraider entre survivants avant que la situation ne dégénère.

Changement d'éditeur pour Sandrine Collette avec ce nouveau roman, qui reprend le meilleur de ses précédents écrits.
Ou qui annonce un certain essoufflement ? Un début de peine à se renouveler totalement cette fois-ci ?
D'il reste la poussière, nous avons les espaces immenses et désertiques ; et à défaut de sable, de la cendre à respirer.
De Six fourmis blanches nous retrouvons l'hostilité de la nature dressée contre ses proies humaines.
D'Animal nous avons cette mince frontière entre Corentin le jeune homme et la bête qu'il pourrait devenir en cas de laisser - aller dans ce royaume gris et silencieux.
"D'animal en cage, qui préfèrerait se laisser crever, sauf que."
"Deviendrons - nous des bêtes."
Des larmes noires sur la terre nous avons cette entraide intergénérationnelle entre les survivants malgré tout l'hostilité du monde qui les entoure. Et les carcasses de voitures.
Des romans d'anticipation où Sandrine Collette tire sur la sonnette d'alame en nous montrant.
La désolation.
Et de Juste après la vague nous avons cette modification en profondeur des cartes et de la géologie redessinant une nouvelle planète à laquelle les survivants parviendront ou pas à s'adapter.
Où les liens familiaux sont comme l'ultime repère après la rébellion de mère Nature.

Depuis plusieurs romans déjà, j'étais surpris de la voir toujours publiée dans la collection "Sueurs froides" alors que tout aspect un tant soit peu thriller avait quitté ses romans depuis Il reste la poussière.
Elle fait partie de ces auteurs inclassables dont la plume et les messages sont plus importants que le genre, et elle a toute sa place en littérature générale, quoi que signifient ces termes.
Comment classer Et toujours les forêts qui rappelle aussi bien l'univers de The Walking dead que celui du petit poucet ou du petit chaperon rouge ?
Qui évoque aussi le film le village de M Night Shyamalan en opposant les habitants des Forêts à ceux des Petites Villes ou de la Grande Ville, jamais nommées, même si une carte de France donnerait d'inutiles indices pour que le lecteur puisse se repérer géographiquement s'il le souhaite.
Dans quels autres oeuvres trouver un narrateur qui malgré ses vingt ans s'exprime avec un aspect qui peut paraître très enfantin, qui décrit le plus ignoble avec une certaine nonchalance, avec ses petits yeux pas du tout émerveillés qui constatent à quel point tout a été ravagé.
Peut-être que c'est grâce à ce qui lui reste d'espoir et d'innocence qu'on est tenté de lui pardonner quand il commet l'inacceptable.
Son instinct bestial ne remet pas totalement en cause sa profonde gentillesse, ni la souffrance de sa solitude.

Le style de l'auteure est toujours aussi unique, avec des phrases plus courtes cette fois mais aussi hachurées que par le passé, parfois incomplètes, comme s'il appartenait au lecteur de les terminer pour mieux s'immerger dans l'histoire et dans toutes les réflexions qu'elle sous - entend à chaque fois.
Mais c'est ça l'écriture de Sandrine Collette. Nous écrire des fables que nous pouvons librement intégrer au monde que nous connaissons. Des contes se déroulant dans un futur proche plutôt qu'à une époque médiévale et chevaleresque.
Un monde dont la fin imminente ne semble pas perturber le dragon américain qui lance des boules de feu sur des généraux iraniens.
Un monde qui arrive à son terme, ce qui n'empêche pas ledit dragon de se désintéresser totalement de mesures écologiques indispensables lors des accords de Paris, contre l'avis même de nombreux industriels de son pays.
Et une morale.
On a toujours besoin d'un plus petit que soi.
On devrait prendre davantage soin de notre planète.
L'homme vaut - il la peine d'être sauvé ou devrait - il être éradiqué ?
Dommage à mon sens que l'auteure ait pris un peu trop de libertés avec Darwin quand elle évoque l'apparition extrêmement rapide de nouvelles formes de vie.

A l'aide de ses repères et de ses souvenirs d'avant, Corentin retrouvera-t-il son chemin vers les Forêts ?
Retrouvera-t-il Mère-Grand ou les loups auront-ils repris leurs droits dans ce nouveau monde ?
Et je ne parle pas que des canidés qui auraient pu survivre dans les cimetières de Forêts.
Je parle de ce qui est propre à tous les univers post - apocalyptiques, à savoir que l'homme est un loup pour l'homme.
Que piller, violer et égorger pourrait rester la norme dans l'hypothèse où l'explosion n'aurait pas suffi de leçon aux rares survivants.
Et ce n'est pas Negan qui me contredira.
"Ils s'étaient constitués en communauté, c'était des fous, ils venaient voler et tuer, ne connaissaient rien d'autre."

Et toujours, les forêts est un roman d'une incommensurable tristesse.
Il n'a rien d'horrible ou de malsain, mais de la première à la dernière page de son magnifique final, il maintient cette aura douloureuse de peine, avec parfois quelques étincelles plus lumineuses.
"Mais seule la tristesse."
La solitude de Corentin est d'autant plus vive qu'aucun de ses sens n'est plus mis à contribution par cette nature autrefois si belle.
"Le paysage continuait à ressembler à une terre lunaire, aucune herbe n'en n'avait réchappé, aucune feuille ne pendait aux arbres."
A sa vue ne s'offre qu'un horizon de désolation, sans autre couleur que le gris.
A ses oreilles, seul le silence. Pas un oiseau, pas un souffle.
Au toucher, une pluie toxique dont il doit se protéger.
Au goût, encore et toujours les mêmes boîtes de conserve rationnées.
A l'odorat la chair brûlée et la pestilence des cadavres.
Partout, des corps.
Et plus de temps.
Plus de nuit, plus de jour, plus de saisons.
"On était le 6 septembre.
Le voilà le printemps."
La frontière entre lucidité et folie n'est pas non plus établie sur ces longues routes où plus rien n'a de sens, si ce n'est avancer.

Je suis passé par plusieurs états d'esprit durant cette lecture.
Reprochant un peu trop de libertés dans un livre dont le réalisme n'est certes pas le principal souci, me demandant si l'auteure des Noeuds d'acier n'avait pas déjà tout dit avant et en particulier dans Juste après la vague.
Mais non.
C'est riche, c'est profond, c'est intelligent.
C'est beau et triste à la fois.
Parfois bouleversant.
Et surtout, au - delà de l'histoire proprement dite le lecteur est extrêmement sollicité. Il peut participer, réfléchir et en tirer les conclusions qu'il souhaite.
Et peu de romans proposent ce genre d'expérience aujourd'hui.
J'espère qu'il imprégnera de la même façon des milliers d'autres lecteurs.




Commenter  J’apprécie          689



Ont apprécié cette critique (55)voir plus




{* *}