Citations sur Moi, Tituba sorcière (175)
Pour une esclave, la maternité n'est pas un bonheur. Elle revient à expulser dans un monde de servitude et d'abjection, un petit innocent dont il lui sera impossible de changer la destinée. Pendant toute mon enfance, j'avais vu des esclaves assassiner leurs nouveau-nés en plantant une longue épine dans l'œuf encore gélatineux de leur tête, en sectionnant avec une lame empoisonnée leur ligament ombilical ou encore, en les abandonnant de nuit dans un lieu parcouru par les esprits irrités. Pendant toute mon enfance, j'avais entendu des esclaves échanger les recettes des potions, des lavements, des injections qui stérilisent à jamais les matrices et les transforment en lambeaux tapissés de suaires écarlates.
Si j'avais eu quelque notion du temps, j'aurai su que c'était l'époque du Carnaval, seul moment de l'année où les esclaves avaient liberté de se distraire comme bon leur semblait. Alors ils accouraient de tous les coins de l'île, pour tenter d'oublier qu'ils n'étaient plus des humains.
— Je te regarde, ma femme rompue, depuis ces années que nous sommes
ensemble et je me dis que tu ne comprends pas ce monde de Blancs parmi
lequel nous vivons. Tu fais des exceptions. Tu crois que quelques-uns d’entre
eux peuvent nous estimer, nous aimer. Comme tu te trompes ! Il faut haïr
sans discernement.
— Cela te va bien, John Indien, de me parler ainsi ! Toi qui es pareil à une
marionnette entre leurs mains. Je tire ce fil-là, toi, tu tires...
— Je porte un masque, ma femme aux abois ! Peint aux couleurs qu’ils
désirent. Les yeux rouges et globuleux ? « Oui, maître ! » La bouche lippue et
violacée ? « Oui, maîtresse ! ». Le nez épaté comme un crapaud ? « À votre
bon plaisir, messieurs-mesdames ! ». Et là-derrière, je suis moi, libre, John
Indien ! Je te regardais sucer cette petite Betsey comme un bonbon au miel et
je me disais : « Faites qu’elle ne soit pas déçue ! »
— Tu crois donc qu’elle ne m’aimait pas ?
— Nous sommes des nègres, Tituba ! Le monde entier travaille à notre
perte !
Il est étrange, l'amour du pays ! Nous le portons en nous comme notre sang, comme nos organes. Et il suffit que nous soyons séparés de notre terre, pour ressentir une douleur qui sourd du plus profond de nous-mêmes sans jamais se ralentir.
Qu'est-ce qu'une sorcière ?
Je m'apercevais que dans sa bouche, le mot était entaché d'opprobre. Comment cela ? Comment ? La faculté de communiquer avec les invisibles, de garder un lien constant avec les disparus, de soigner, de guérir n'est-elle pas une grâce supérieure de nature à inspirer respect, admiration et gratitude ? En conséquence, la sorcière, si on veut nommer ainsi celle qui possède cette grâce, ne devrait-elle pas être choyée et révérée au lieu d'être crainte ?
Il y avait cependant une chose que j'ignorais : la méchanceté est un don reçu en naissant. Il ne s'acquiert pas. Ceux d'entre nous que ne sont pas venus au monde, armés d'ergots et de crocs, partent perdants dans tous les combats.
ont ils tant besoin de haïr qu'ils se haïssent les uns les autres?
Malgré l'amitié d'Hester, la prison me laissa une impression ineffaçable. Cette sombre fleur du monde civilisé m'empoisonna de son parfum et jamais plus par la suite, je ne respirai de même façon. Incrustée dans mes narines, l'odeur de tant de crimes : matricides, parricides, viols et vols, homicides et meurtres et surtout, l'odeur de tant de souffrances.
Elle m'apprit que tout vit, tout a une âme, un souffle. Que tout doit être respecté. Que l'homme n'est pas un maître parcourant à cheval son royaume.
Le quimboiseur ricana : - Est-ce que tu n'es pas Tituba ? Celle que les Blancs ont failli faire tournoyer au bout d'une corde ? J'eus ma réponse habituelle : - Tu sais sûrement que je n'avais rien à me reprocher ! - Dommage ! Quel dommage ! Je le fixai, interdite, et il poursuivit : - Si je me trouvais dans ta position, ah ! j'aurais ensorcelé tout le monde : père, mère, enfants, voisins... Je les aurais dressés les uns contre les autres et je me serais réjoui de les voir s'entre-déchirer. Ce ne serait pas une centaine de personnes qui auraient été accusées, pas une vingtaine que l'on aurait exécutées. Tout le Massachusetts y serait passé et je serais entré dans l'histoire sous l'étiquette " Le démon de Salem ". Alors que toi, quel nom portes-tu ? Ces propos me mortifèrent, car ils m'avaient déjà traversé l'esprit. J'avais déjà déploré de n'avoir joué dans toute cette affaire qu'un rôle de comparse vite oubliée et dont le sort n'intéressait personne. " Tituba, une esclave de la Barbade et pratiquant vraisemblablement le hodoo. " Quelques lignes dans d'épais traités consacrés aux événements du Massachusetts. Pourquoi allais-je être ainsi ignorée ? Cette question-là aussi m'avait traversé l'esprit. Est-ce parce que nul ne se soucie d'une négresse, de ses souffrances et tribulations ? Est-ce cela ? Je cherche mon histoire dans celle des Sorcières de Salem et ne la trouve pas. En août 1706, Anne Putnam se tient en plein milieu de l'église de Salem et confesse les erreurs de son enfance, déplorant leurs terribles conséquences : " Je veux m'étendre dans la poussière et demander pardon à tous ceux à qui j'ai causé tort et offense et dont les parents ont été arrêtés et accusés. " Elle n'est ni la première ni la dernière à s'accuser ainsi publiquement et, une à une, les victimes sont réhabilitées. De moi, on ne parle pas. " Tituba, une esclave originaire de la Barbade et pratiquant vraisemblablement le hodoo. "