Mais il est d'autres meurtres plus difficiles à mettre en relation, car ce qui les relie est masqué par de longues distances, par le passage des années, par des années, par les couches de ce monde alvéolé qui se déposent à mesure que le temps se replie doucement sur lui-même.
Le monde alvéolé ne cache pas les secrets, il les stocke. C'est un entrepôt de souvenirs enfouis, d'actes à demi oubliés.
Dans le monde alvéolé, tout est lié.
- Moi qui commençais à aimer la vie peinarde, soupira Angel.
- Faut du bruit pour apprécier le silence.
- Tu te prends pour Bouddha ?
- J'ai dû lire ça quelque part.
- Dans l'horoscope d'un biscuit chinois ?
- T'as une âme de raisin sec, tu le sais, ça ?
- Contente-toi de conduire. Mon âme de raisin sec a besoin de tranquillité, répliqua Angel.
S'il fallait voir dans les instincts de Louis une forme de dépravation et dans sa capacité à rcourir à la violence, en allant parfois jusqu'au meurtre, une faiblesse morale plutôt que de la force de caractère, Gabriel avait exploité cette dépravation, il l'avait encouragée et renforcée, pour transformer Louis en une arme pouvant être utilisée efficacement contre d'autres.
Les Blancs avaient la justice, les Noirs subissaient la police.
Il y a tant de meurtres, tant de victimes, tant de vies perdues et détruites chaque jour qu’il est parfois difficile de garder trace de chacune d’elles, d’établir les relations qui permettent de boucler une affaire. Certaines sont évidentes : un homme tue sa maîtresse puis se suicide, soit par remords, soit parce qu’il est incapable de faire face aux conséquences de son acte ; ou bien des voyous, des gangsters, des trafiquants de drogue s’entre-tuent, chaque meurtre conduisant inexorablement à un autre en une escalade de violence. Une mort invite la suivante, elle lui tend une main pâle en souriant tandis que la hache tombe, que la lame s’enfonce. Il y a un enchaînement d’événements qu’on peut facilement reconstituer, une piste claire que la police peut suivre.
On est pas dans un western. C’est dur de toucher une cible à moins qu’elle soit tout près.
On dit qu’avec le temps on oublie l’intensité de la douleur passée ; ce n’était pas vrai pour Bliss. Les souffrances qu’il avait endurées demeuraient gravées en lui et sur lui, dans son esprit et dans son corps. Même si leur réalité physique avait diminué, leur souvenir restait vif et clair. Leur fantôme suffisait à lui rappeler ce qu’elles avaient été et il s’était servi de cette capacité à les revivre pour avoir la force de venir jusqu’à cet endroit.
Les snipers et les Faucheurs étaient des armes d’opportunité. Il fallait se préparer pour être prêt quand l’occasion se présentait. Une bonne préparation pouvait créer des occasions, mais parfois l’occasion ne se présentait pas et il n’était pas avisé de forcer la situation. Une autre chance s’offrirait, si l’on était patient et bien préparé. Il arrivait aussi que quelque chose cloche et que l’instinct vous conseille de partir, de tout laisser tomber.
On doit faire face à l’agressivité d’un autre dirigée entièrement contre soi et on est contraint de reconnaître sa propre agressivité et sa propre haine en retour. Il faut accepter d’être devenu potentiellement à la fois victime et bourreau. Cela revient à nier sa propre humanité et celle des autres.
La plupart des clients paient par chèque ou par carte de crédit. On en a quand même encore quelques-uns qui préfèrent le liquide. Les vieilles habitudes ont la vie dure, dans le quartier.