Invité du salon Quais du Polar à Lyon, John Connolly nous a parlé de son dernier roman, "Le Chant des dunes", la treizième aventure de Charlie Parker.
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"Il était une fois - car c'est ainsi que toutes les histoires devraient débuter - un petit garçon qui avait perdu sa mère.
A vrai dire, il avait commencé à la perdre voilà bien longtemps. La maladie qui la rongeait était une chose terrifiante et sournoise, un mal qui la dévorait de l'intérieur, consumant à petits feux sa lumière de sorte qu'au fil des jours ses yeux perdaient un peu de leur éclat et sa peau devenait un peu plus pâle."
Il se trouva devant la femme la plus grande et la plus grosse qu'il eût jamais vue. Son visage était couvert d'une épaisse croûte de fond de teint blanc, un bandeau en tissu coloré maintenait ses cheveux noirs en arrière et un vernis pourpre soulignait le dessin de ses lèvres. Elle était vêtue d'une robe rose assez large pour abriter un petit cirque. Dans ses plis était enfoui le camarade n°1 - sans doute pour mieux entendre les bruits curieux provenant du gigantesque estomac. La robe était ornée de tant de boutons et de ruban que David se demandait comme Blanche-Neige s'y prenait pour distinguer ceux qui servaient à fermer le vêtements des autres, purement décoratifs. Ses pieds étaient enfoncés dans une paire de pantoufles de soie trop petites d'au moins trois tailles et ses bagues disparaissaient presque sous les plis de chair de ses doigts.
Les histoires sont vivantes [...] Elles se mettent à vivre dès qu'on les raconte. [...] Elles s'enracinent dans l'imagination du lecteur et peuvent le métamorphoser. [...] Elles veulent qu'on leur donne la vie. (page 13)
Sur la côte de la Casuarina, dans la région du delta d'Irian, en Nouvelle- Guinée indonésienne, vit une tribu appelée les Asmats. Forte de vingt mille hommes, elle est la terreur de toutes les tribus avoisinantes. Dans leur langue, Asmats signifie "le peuple -- les êtres humains". Ils se définissent comme les seuls humains, tous les autres étant relégués au statut non-humains, avec tout ce que cela suppose. Les Asmats ont un mot pour désigner les autres : ils les appellent les manowe. Ce qui veut dire "ceux que l'on peut manger".
Même chose pour Roméo et Juliette, Robinson Crusoé ou Don Quichotte. Mentionnez leur nom à un homme ou à une femme ayant reçu une éducation basique et, qu’ils aient ou non lu le moindre mot provenant des textes en question, ils seront capables de vous dire que Roméo et Juliette étaient des amants maudits, que Robinson Crusoé est resté bloqué sur une île et que Don Quichotte a eu maille à partir avec des moulins à vent.
"Tout ce qui peut être imaginé est réel" Pablo Picasso, (188101973) En exergue du roman.

J'ai beaucoup aimé ce roman, même si j'ai pourtant pas mal de critiques à son encontre. Tout d'abord, je trouve que ce livre classé en Jeunesse n'est à mettre qu'entre les mains de lecteurs très avertis, et pas trop jeunes. En effet, je crois qu'il faut posséder une certaine culture générale pour en apprécier toute la finesse, en tout cas en ce qui concerne les références à la littérature, et aux contes de notre enfance, des contes que nous connaissons tous, certes, mais dont on aurait extirpé seulement la face cachée, noire, mauvaise. De plus, le sujet est grave, parfois violent, et pourrait à mon avis choquer des esprits sensibles. J'ai moi-même frissonné plusieurs fois au cours de ma lecture... Il faut également avoir une capacité certaine à passer d'un monde réel (et qui plus est très réel, puisque nous sommes en temps de guerre) à un monde fantastique, qui parait bien pire !
David est un enfant auquel on s'attache facilement, tant il a l'air malheureux, entre son père plutôt absent et cette nouvelle mère pas très sympathique. Sans compter l'arrivée du bébé, qui lui "vole" sa place d'enfant unique. On comprend aisément qu'il cherche refuge dans la lecture, consolatrice de bien des maux. Il est courageux, ingénieux, curieux et honnête et, avec toute l'innocence de son âge, ne porte pas sur les autres ce regard plein d'a-prioris qu'ont en général les adultes. Il va devoir faire face à des méchants très méchants et trouver le moyen de se sortir de ce monde parallèle, sans que cela ne fasse de mal à sa famille. Et c'est là que la psychologie de cet enfant - et tout le roman - deviennent très intéressant : David apprend qu'on doit faire des choix, mais que nos choix ont toujours des conséquences, à court ou à long terme. Il découvre aussi que la confiance ne doit pas s'accorder selon la bonne mine des interlocuteurs et qu'elle se mérite. Et il va tenter de surmonter ses peurs...
C'est donc un roman d'initiation, dont le suspense vous conduit aisément à la dernière page, avec grand plaisir, mais qui me semble bien difficile pour un jeune lecteur. La barrière entre réalité et fiction est si floue qu'il me semble que cela pourrait perturber ou effrayer. On trouve aussi au fil du texte quelques passages particulièrement gores et violents : sang, torture, mensonges...
Je viens de lire en faisant quelques recherches sur le roman qu'il a été édité sous deux formes : la couverture bleue est une version pour adultes, et la rouge pour ados. J'ai donc lu la rouge... et je n'ose imaginer ce que doit contenir le roman à la couverture bleue : encore plus dur ?
J'ai malgré tout particulièrement aimé l'amour que ce jeune garçon porte aux livres et la façon dont il s'y plonge... J'avais l'impression de me retrouver quelques années en arrière, plongée moi aussi dans les livres pour m'évader du quotidien (mais rassurez-vous, j'ai eu une enfance très heureuse !).
"Les anges rebelles tombaient, festonnés de feu. Ils dégringolaient dans le vide, aussi maudits que l’est un aveugle de fraîche date car, de même que l’obscurité est plus terrible pour ceux qui ont connu la lumière, l’absence de grâce est ressentie plus intensément par ceux qui ont autrefois vécu dans sa chaleur. Ils hurlaient dans leurs tourments, et les flammes qui les dévoraient éclairaient pour la première fois les ténèbres. Ceux d’entre eux qui churent le plus bas se tapirent dans les profondeurs et s’y créèrent un monde où habiter."
Son image subsista dans mon rétroviseur, telle une plaie infectée dans la chair de la nuit, et ne s'évanouit enfin que lorsque j'eus tourné le coin.
Avant de tomber malade, le mère de David lui répétait souvent que les histoires étaient vivantes. [...]
Les histoires sont différentes : elles se mettent à vivre dès qu'on les raconte. Sans une bouche humaine pour les lire à haute voix ou une paire d'yeux écarquillés sous les draps, les parcourant à la lumière d'une lampe de poche, elles n'ont aucune existence réelle dans notre monde.