La mort de Santini

-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.
-Pourquoi ?
– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires

Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».

Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.

Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.

À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.

Mon livre avait contribué à déchirer la famille mais plus que tout, quand le film Le Grand Santini fut dévoilé au monde, l'histoire douloureuse de la famille Conroy trouva en quelque sorte la mystérieuse voie de la guérison.

Le film était superbe, aussi parfait que j'aurais pu l'imaginer. Robert Duvall, Blythe Danner, Michael O'Keefe et Lisa Jane Persky m'ouvrirent les portes du tabernacle dans lequel l'art se transforme en cette chose essentielle dont l'âme humaine peut se délecter.
Chacun de ses acteurs exsudait une force qui semblait détachée des contingences, bien au-delà des domaines du possible. Ensemble, ils incarnaient notre famille blessée à la fois avec naturel et grandeur.

Mon père prit donc place à mes côtés et de bien des façons, il ne me quitta plus, ni moi lui, pour le restant de nos jours. Ensemble, nous avions forgé un langage secret fait du sang et des harmonies discutables qui avaient composé la musique de nos vies passées ensemble.

"Il y a beaucoup de choses fausses sur les Irlandais mais l'oubli ne fait pas partie de celles-là."

"La ville de Beaufort est à l'origine de la chose la plus miraculeuse qui soit pour ma famille et moi : elle apporta le repos à notre nid d'âmes meurtries."