Tant l’être humain est limité : il acquiert d’un côté, il perd ponctuellement de l’autre et, à cela, il semble qu’il n’y ait pas de remède. Qu’on pense, en dernier ressort, aux incroyables boîtes pour la nidification des étourneaux installées sur les baraquements d’Auschwitz, par les bourreaux qui avaient le coeur tendre pour les oiseaux. p78
Ils s’assirent dans les fauteuils près de la touffe de bambou, au pied duquel poussait une de minuscules muguets, modestes comme l’herbe. («C’est ma mère qui les a plantés», avait autrefois expliqué Tintori. Bien que personne ne s’en occupât, les petites plantes continuaient de reparaître, année après année, tenaces -- malgré leur fragilité -- comme certains souvenirs délicats qui, même si nous les négligeons, s’obstinent à nous revenir en mémoire.) p 71
Au fur et à mesure qu’on s’était rapproché de la côte, le ciel était devenu plus limpide, plus lumineux, comme si l’énorme miroir de l’eau s’y reflétait. Le paysage lui-même s’était fait sensiblement plus clair, et ces couleurs, ainsi que certaines autres particularités du lieu, avaient peu à peu réveillé dans l’âme du jeune homme des sensations oubliées depuis longtemps, sensations qu’il avait éprouvées dans les années lointaines de l’enfance, à l’occasion des premiers voyages à la mer. Mais il n’était pas du genre à s’attarder à de telles choses et il avait donc laissé ces impressions s’évanouir (du reste elles se seraient évanouies malgré lui) : nous ne pouvons retrouver du passé que de rares bribes parfois, et seulement le temps qu’elles se défassent à nouveau. p 55