Sur le viaduc, des badauds à la curiosité morbide admiraient le spectacle. C'était le viaduc depuis lequel on avait tiré le conducteur de la Corvette. En agent d'expérience qu'il était, Duval observa les gens agglutinés. L'homme qu'il cherchait êtait jeune, vingt ou vingt-deux ans, peu instruit, jamais rassasié de violence, et il circulait à pied. Il entretenait un rapport ambivalent avec les automobiles. Une sorte de pyromane des routes à la recherche d'une minute de gloire.
"H n'avait pas répondu aux attaques, se contentant de ruminer un désir de vengeance. Le soleil cuisait son visage et il semblait dans un autre monde. Il jeta un coup d'œil discret vers les mécaniciens qui se moquaient de lui en fumant une cigarette. L'un d'eux, Bissonnette, riait toujours plus fort que les autres de ses malheurs.
Le patron répéta son injonction malgré la peur qui le tenaillait:
- T'as pas compris ? Scrame ! T'es renvoyé. Va-t'en...Débarrasse...Tu viendras chercher ton bazou et ta paye mercredi.
Puis Bissonnette poussa l'insulte un peu trop loin en susurrant la lettre Hhhhhhhhhhh, faisant allusion à la drogue qu'affectionnait l'ex-détenu. Seuls ses copains en taule pouvaient l'interpeller par ce surnom.
Duval tiqua en voyant la carcasse de ce qui avait été un bolide sur lequel des yeux admiratifs s'étaient posés. La fibre de verre avait fondu. On aurait dit une sculpture moderne, informe, toute roussie. De la guimauve caramélisée.