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Citations sur Aucune pierre ne brise la nuit (5)

Dans le musée étincelant de soleil, Ariane ne fut d’abord qu’une illusion. À sa place, Gabriel imagina Véro, ses yeux tendres et ses lèvres pulpeuses. Cette femme lui ressemblait tant qu’on eût dit sa fiancée, à l’époque où il étudiait aux Beaux-Arts : sa silhouette haut perchée sur ses talons Bally, sa façon de croiser les jambes, de sourire, tout cela le percutait de plein fouet. Malgré les années, ses souvenirs le pétrifiaient encore. Et puisque l’horreur s’infiltrait toujours jusqu’à l’os, il endura un instant sa terreur, le cauchemar de tout ce qu’elle avait vécu.
Gabriel crispa les poings pour ne pas trembler comme une feuille. Il jeta un coup d’œil circulaire à la mezzanine et tâcha de se reprendre en fixant la mer par-delà le port et la capitainerie. Il releva la tête et inspira profondément. C’est ainsi qu’il repoussait les courants du passé et retrouvait son souffle. Lui parvint un parfum de femme, des effluves de fleurs blanches. Bientôt l’odeur recouvrit tout. Elle prit le pas sur ses rêveries. Véro se dilua. Ariane s’imposa dans son champ de vision.
Ils se trouvaient à moins d’un mètre l’un de l’autre, admirant le tableau d’un figuratif argentin. Chacun de leur côté, ils détaillaient avec attention les dockers à l’ouvrage, les grues, les bateaux, les sacs de blé et de charbon. Rien ne manquait à ce spectacle coloré du Nouveau Monde parti pour ravitailler l’ancien.
– Le grupo de La Boca, murmura soudain Ariane.
Intriguée, elle se pencha pour lire une notice à moitié retranscrite, accrochée au panneau mobile avec ce titre énigmatique : « Quand vous traversez le port, évitez les condamnés à mort ! »
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Certaines rencontres ont l’air programmées, comme si la roue du destin nous téléguidait, mais c’est une illusion Oui, des cascades de coïncidences peuvent profondément changer une vie, peut-être même qu’elles obéissent à leur propre logique, mais inutile de les interpréter. On doit juste se débrouiller avec ça, à l’instinct.
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Constant déboulait d’Oranie. Il avait un repère : la troisième bougie de Véronique, soufflée à la ferme avant son départ. On était à la mi-58, il se présentait pour un semestre à l’Ecole de guerre, un piston « au nom de l’Art » qu’il devait à Hardy, tout juste nommé « Père Légion » à Sidi-Bel-Abbès. Jusque là incorporé au QG du quartier Vienot, il savait exprimer en quelques traits les sentiments et émotions des légionnaires. Exercice, manoeuvre, casernement, campement, reconnaissance, progression, déplacement, tirs d’artillerie, observation… Ses dessins, aquarelles et croquis, d’inspiration orientaliste, s’éloignaient de la gloire militaire pour isoler le combattant dans une scène de brousse ou de vie quotidienne. Depuis les Beaux-Arts d’Alger, sa réputation le plaçait au niveau d’un Roger Jouanneau-Irriera dont les toiles décoraient le mess du square Bresson, tout près de l’Opéra. Au titre reculé de peintre des batailles, il avait reçu celui de peintre aux armées, avec rang de capitaine. Son insigne brandissait le laurier, le chêne et l’épée basse – emblème des hommes présents sur les théâtres d’opération, mais dépourvus d’armements.
Paris s’était présentée au détour d’une interview du conservateur de l’École militaire, publiée par l’hebdo de la soldatesque, Le Bled. « Si seulement l’École du Louvre n’était pas ce repaire de gauchistes », s’apitoyait le maître des lieux. Selon l’article, les grands tableaux du salon des Maréchaux étaient jaunis par le temps. Les médaillons au-dessus des portes pâlissaient, les dorures grisaient… Constant avait su lire entre les lignes. Le brave gradé ne pouvait compter sur aucun atelier de restauration. On avait d’autres chats à fouetter à l’état-major. Il avait donc fait sa proposition de nettoyage : si on lui confiait un tel chantier, il ôterait les repeints des précédentes restaurations et allègerait les vernis. Pour mettre toutes les chances de son côté, il avait eu l’audace de suggérer à Hardy de le recommander là-bas. Ainsi s’était-il retrouvé un semestre entier à Paris à redonner de la transparence et une nouvelle jeunesse aux oeuvres du peintre Jean-Baptiste Paon. Depuis plus d’un siècle, l’École supérieure de guerre sélectionnait les meilleurs officiers des armées françaises, amies et alliées. L’état-major n’en avait alors que pour Massu et ses huit mille paras. Lancée dans Alger avec tous les pouvoirs, sa 10e division venait de réduire à néant le FLN.
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Dans la cabine, la montée fut un petit miracle : l'engin fonctionnait, bien que frottant sur les cloisons. Arrivés au septième étage, ils se retouvèrent directement propulsés sur les toits de Paris. La vue s'ouvrait théâtralement à trois cent soixante degrés sur la Ville Lumière, les plaçant dans un halo clair-obscur. Ils n'entendaient plus rien des bruits de la rue. Une paix de colossse au repos.
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Venganza. Les fois où il s’interrogeait sur son désir de réparation, Gabriel tournait en rond. La justice fonctionnerait peut-être un jour en Argentine, des politiques auraient le cran d’abolir les lois d’amnistie, et alors les bourreaux de Véro seraient entendus par un juge, et même punis… Mais comme il l’avait dit à Esteban, Gabriel ressassait toujours les mêmes doutes. Jamais les coupables ne subiraient la souffrance des disparus et de leurs proches. À ses yeux, un jugement public importait peu. Depuis le temps qu’il se repliait sur lui-même, son costume de paria lui collait trop à la peau pour qu’il réclame justice. Il s’y refusait, même, car il n’avait plus aucun idéal à défendre ni à préserver. Des réparations ? Il ne pouvait rien réparer du tout car le crime contre Véro débordait la conduite des tortionnaires : la société argentine dans son ensemble avait failli à la protéger. Ils étaient tous coupables, lui inclus. Trente mille disparus, c’était impardonnable.
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