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EAN : 9782266336499
600 pages
Pocket (04/01/2024)
3.98/5   78 notes
Résumé :
LAURÉAT DU PRIX SELIGMANN CONTRE LE RACISME 2023

De nos jours, à Hambourg. Paul, écrivain à succès, apprend la disparition de son grand-père, Viktor. Sidéré, il découvre alors que de lourds secrets le relient à un officier SS complice de Josef Mengele à Auschwitz.
Dans le Berlin des années 1940, Viktor a vu sa sœur Vera enfermée au château de Sonnenstein. C’est le lieu du programme Aktion T4, visant à « débarrasser » le Troisième Reich de ses A... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
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« Hors d'atteinte » est un titre paru lors de cette rentrée hivernale littéraire. Pourtant, je trouve que l'on n'en a pas assez parlé ou écrit au regard des nombreuses qualités de ce livre. Il n'a pas reçu toute la lumière qu'il mérite par ses multiples attributs remarquables et louables.

Inspiré de faits et personnages réels, c'est un livre à la fois passionnant, émouvant et enivrant. Mêlant une part de fiction à l'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, le lecteur est happé dès les premières pages. Centré sur le Docteur SS Horst Schumann, équivalent de Jozef Mengele (si même pas pire vu la multitude d'horreurs et actes commis à Sonnenstein, Auschwitz ainsi qu'à Ravensbrück), j'ai découvert tout un pan historique sur ce personnage. Je ne le connaissais pas du tout, malgré mes très nombreuses lectures et visionnages tant de films que de documentaires à ce sujet.

L'enquête est menée par Paul, écrivain à succès, qui se penche sur son histoire personnelle par l'entremise de son grand-père, Viktor, ayant servi dans l'armée allemande en poste au Danemark dans la Kriegsmarine. Par l'entremise d'un inspecteur de police, il découvre l'existence passée de ce Horst Schumann et de son pedigree exécrable. Il se questionne alors de savoir comment sont liés son grand-père, qui était censé n'avoir jamais tiré sur quelqu'un malgré qu'il ait servi dans l'armée et ce Schumann.

Il est écoeurant de savoir que de nombreux nazis s'en sont tirés sans aucune conséquence pour les crimes commis. Encore plus, cet individu n'a été que très peu inquiété par la justice allemande pour être finalement déclaré inapte à suivre son procès et à purger une quelconque peine de prison. Il a été l'un des principaux acteurs du programme Aktion T4 consistant en la campagne d'extermination par assassinat des adultes handicapés physiques et mentaux, allemands et autrichiens, menée par le régime nazi de 1939 à août 1941.

La guerre terminée, chaque fois, il s'en est sorti face à un éventuel procès ou emprisonnement avant de fuir, en 1950, vers le Ghana où il devint le médecin personnel de Kwame Nkrumah, président de la République ghanéenne. Malgré une extradition vers l'Allemagne en 1966, il est resté finalement impuni jusqu'à sa mort.

Au travers de plus de 501 pages, l'auteur français, Frédéric Couderc m'a embarquée dans une enquête fascinante au sujet de cet homme abject. Doté d'un texte très dense mais ô combien intéressant, ce roman historique m'a tenue en haleine jusqu'à la toute fin.

Je ne peux que vous conseiller très vivement la lecture de ce livre, qui même s'il reste une fiction, vous en apprendra énormément.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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Paul est un écrivain reconnu en Allemagne. Il est aussi un petit-fils attentif, soucieux du bien-être de son grand père Viktor, qui atteint sa neuvième décennie avec une forme remarquable. Jusqu'à une fugue qui malgré l'absence de signes objectifs laisse planer un doute sur la santé mentale de l'aïeul. Rapidement retrouvé, il est devenu mutique. Que cherche t-il à ne pas dire ?

La découverte du lien qui a unis pour un temps la soeur de Viktor et l'abominable médecin nazi Schumann et le silence dont le grand-père a entouré cette partie de son passé intriguent le romancier d'autant que l'histoire est un sujet en or pour un futur roman.

C'est ainsi que Paul se met à raconter Viktor, Vera, sa soeur et l'itinéraire complexe d'un piano Steinway.

La transition entre les deux trames narratives est parfaite, dans une sorte de mise en abîme qui nous plonge au coeur du roman en train de s'écrire. Ce qui permet aussi de disserter sur les limites de la fiction et de la biographie, de ce qui est nécessaire mais pas toujours suffisant, et de ce que l'on doit occulter.

Le roman dans le roman nous plonge dans les heures les plus tragiques de la seconde guerre mondiale, et de ce que la raison de guerre a permis d'expérimentation médicale au nom de la science, d'une science aux méthodes dépourvues de la moindre parcelle d'un raisonnement logique, et totalement inhumaine.

C'est aussi une belle histoire d'amour, fondée sur des quiproquos et des non-dits.


Excellent roman intéressant sur le plan historique (il fourmille d'anecdotes édifiantes, l'histoire du Fanta en est un exemple). La documentation est sérieuse, même si elle a été déléguée, tendance qui se généralise parmi les écrivains.


Cette lecture a été un grand plaisir, autant pour le souffle romantique que pour les éléments de compréhension historiques.

416 pages Les escales 5 janvier 2023
Sélection Prix Orange 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Paul est un écrivain à succès et entretient une relation « privilégiée » avec son grand-père Viktor. Un jour ce dernier disparait après avoir reçu une lettre qui le déstabilise complètement. Tout en le cherchant, Paul s'apercevant qu'il ne connaît rien en fait du passé de Viktor se lance dans une quête pour comprendre cette disparition et en savoir davantage sur le passé de Viktor.

Cette recherche, le met du la piste d'un criminel de guerre nazi Horst Schumann qui a sévi à Auschwitz en compagnie de Josef Mengele.

Viktor a été enrôlé vers la fin de la guerre par la SS, et a été affecté dans une unité au Danemark, et quand il revient en Allemagne, dans sa ville, les bombardements ont tout détruit, l'appartement de ses parents pulvérisé, où ils ont trouvé la mort. Mais quid de sa soeur Vera, pianiste ? Elle a été envoyée dans une institution au château de Sonnenstein, qui a été rapidement transformée en chambre à gaz, pour assassiner les personnes dépressives, les déficients mentaux dans une opérations appelée avec « humour » « La mort miséricordieuse » : après tout, on leur rendait service, ils étaient inutiles…

A son retour du Danemark, en cherchant à retrouver des vivants sous les gravats, il croise Nina, qui est la seule rescapée des camps de concentration de sa famille. Il prend conscience de la Shoah, des méthodes nazis, notamment celles de médecins pour mettre au point la solution finale.

C'est ainsi que Viktor découvre en même temps, que sa soeur, soi-disant décédée d'u typhus a été assassinée et que celui qui officiait était Horst Schumann. Il va alors se lancer, avec obsession, toute sa vie durant, dans une croisade pour retrouver et faire condamner le nazi en fuite, rien n'aura plus d'importance, même son épouse et son fils seront tenus en dehors.

J'ai aimé cette quête obsessionnelle qui va l'emmener sur les traces de Schumann, qui a trouvé refuge en Afrique, où on lui a même confié un hôpital de brousse. le scenario est très crédible et on espère qu'il va réussir à faire (se faire ?) justice. Et pourtant, l'auteur nous a bien mis en garde dans son avant-propos retraçant la vie de Horst Schumann : « j'espère que tout le monde comprend que ceci est une fiction. Les choses ont pu se dérouler ainsi ou (un peu) autrement. »

Touts la partie consacrée à Horst Schumann est extrêmement bien documenté, l'auteur nous fournit des notes, des extraits de jugements des tribunaux, revient sur tous ces nazis zélés (et innocents bien sûr) et leurs expérimentations médicales toutes plus horribles les unes que les autres, la manière dont leur fuite a été protégée, en plus haut lieu.

J'ai beaucoup aimé ce roman, c'est une période de l'Histoire qui me passionne, et comme je ne connaissais pas Horst Schumann, je vais creuser… la relation qui s'établit entre Nina et Viktor est belle, même si chacun fait sa traque à sa manière, Nina respecte les lois, alors que Viktor se transforme en justicier, étouffé par sa haine et sa colère.

Un livre donc qui fait réfléchir, mêlant fiction et réalité, Histoire et histoire de famille avec en prime une belle écriture. Mais, je mettrai un petit bémol : je trouve le récit un peu déséquilibré, autant l'histoire de Viktor est passionnante autant celle de Paul me laisse un peu dubitative : vouloir faire tout de suite un roman pour parler de ce qu'a vécu son grand-père c'est un peu léger, je sais bien que Paul est écrivain, mais quand même…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur que je découvre avec roman.

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Voici mon retour de lecture sur Hors d'atteinte de Frédéric Couderc.
De nos jours, à Hambourg. Paul, écrivain à succès, apprend la disparition de son grand-père, Viktor.
Sidéré, il découvre alors que de lourds secrets le relient à un officier SS complice de Josef Mengele à Auschwitz.
Derrière le petit-fils, l'écrivain surgit bientôt. Et si son grand-père et ce passé brumeux devenaient le sujet de son prochain livre ?
Le roman de Paul raconte l'histoire de Viktor, du Hambourg de 1947 à aujourd'hui, en passant par le Ghana des années 1960.
L'auteur découvre Horst Schumann, ce criminel nazi qui castrait les hommes et stérilisait les femmes à Auschwitz, resté impuni et pourtant recherché par le Mossad. Pourquoi sa traque a-t-elle échoué ? de quelles complicités a-t-il pu bénéficier ?
Hors d'atteinte est un excellent roman, mélange d'enquête historique, de thriller et même d'histoire d'amour, qui m'a fasciné.
Il est vrai que j'adore lire des romans se déroulant pendant la seconde guerre mondiale et celui ci ne m'a absolument pas déçu.
Je suis surprise qu'il n'est pas rencontré un plus grand succès en librairie car il mérite vraiment d'être connu ! Il est excellent et important pour le devoir de mémoire, pour ne jamais oublié ce qui s'est déroulé pendant la seconde guerre mondiale.
Nous suivons l'histoire de Viktor, notamment à travers le roman de son petit fils Paul.
Je suis toujours aussi choquée par la folie des hommes, par le funeste destin réservé aux cobayes de nazies.
Et il est dérangeant d'imaginer que de nombreux hommes soient passés entre les mailles de la justice, finissant tranquillement leurs jours loin de l'Allemagne.
Leurs actes sont épouvantables mais pour les victimes, leurs familles, le fait qu'ils aient été impunis l'est tout autant !
Hors d'atteinte est un roman émouvant qui dénonce et éclaire sur cette période sombre de l'histoire.
J'ai beaucoup apprécié ma lecture et si vous aimez les ouvrages se déroulant durant cette période, je vous le recommande sans aucune hésitation.
Ma note : cinq étoiles.
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Sur les pas du chasseur de nazis

Dans ce roman bouleversant, Frédéric Couderc mène la chasse à un médecin nazi que la justice n'a pas inquiété. En mêlant son histoire avec celle d'une famille de victimes sur trois générations, il nous offre un témoignage touchant et pose de graves questions, toujours d'actualité.

Une fois n'est pas coutume, je commence cette chronique par le dispositif narratif choisi par l'auteur, car il est pour beaucoup dans la réussite de ce gros roman. Frédéric Couderc a en fait choisi, comme des poupées russes, de nous raconter différents romans dans ce roman. Il commence par se mettre dans la peau d'un écrivain allemand, Paul Breitner, qui cherche l'inspiration pour son nouveau livre. Ce dernier va découvrir, en lui rendant visite dans sa villa du côté de Hambourg, que son grand-père Viktor a disparu. C'est en le recherchant qu'il se rend compte combien le vieil homme lui est inconnu.
De 2018, on bascule alors à l'été 1947, au moment où Viktor retrouve sa ville natale, défigurée par un lit de bombes. On va alors vivre la quête du jeune homme qu'il était à l'époque et traverser avec lui une Allemagne qui se cherche, entre un passé brûlant et un avenir à construire. Ce second roman dans le roman nous conduira jusque dans les années 1960. Mais n'anticipons pas.
Paul va mener une double enquête, d'abord en tant qu'historien, en cherchant dans les coupures de presse de l'époque, en recueillant les témoignages de ceux qui ont survécu. Il va alors découvrir l'existence du sinistre Horst Schumann, qui va se livrer à des expériences médicales et participer activement à l'enlèvement et à la déportation de milliers de personnes vers les camps, quand il n'a pas lui-même assassiné ses cobayes. Vera, la soeur de Viktor, en fera partie. Mais il entend aussi s'appuyer sur les confidences de Viktor, jusque-là très discret sur son passé. Est-ce parce qu'il a quelque chose à se reprocher ?
Au fur et à mesure que l'écrivain avance, l'Histoire – celle avec un grand «H» – avec se confondre avec son histoire familiale.
Viktor, quant à lui, va croiser Nina, revenue de l'enfer, et s'imagine pouvoir vivre avec elle une belle histoire d'amour. Mais la jeune fille va disparaître, le laissant dans un total désarroi. Il tentera bien de l'oublier en se lançant dans une carrière de journaliste, en épousant Leonore, la fille de sa logeuse, en devenant père. Mais son fils Christian ne le verra que très peu, car il n'aspire qu'à retrouver le criminel nazi et à se venger. Une quête qui le mènera à Accra en 1962. C'est au sein de la communauté allemande exilée au Ghana qu'il va toucher au but.
Si ce roman est aussi prenant, c'est qu'il laisse à toutes les étapes la place au doute. Comment se fait-il que les criminels nazis aient pu échapper en si grand nombre à la justice? Pourquoi les juges allemands ont-ils fait preuve d'autant de mansuétude envers les bourreaux? Pourquoi les pays vainqueurs, qui comptaient tant de victimes de ces exactions, n'ont-ils pas poursuivi tous ces monstres? Et pourquoi les archives prennent-elles la poussière au lieu d'être analysées avec rigueur et méticulosité? Autant de questions qui hantent les personnages de cette saga familiale riche en émotions. S'appuyant sur des faits réels – le témoignage de Génia, l'une des rescapées du Dr. Schumann vous touchera au coeur – ce roman est, avec le Bureau d'éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant, une nouvelle pierre à porter à ce devoir de mémoire. Pour que jamais on n'oublie.

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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
L’odeur de la nuit est celle de la brousse, piquante d’herbe mouillée et de fleurs d’acacia. Les ombres occupent toute la place, la voûte étoilée ne suffit pas pour y voir clairement, ni la lune, ni les lucioles. Des ténèbres qui font bien l’affaire du Sturmbannführer (commandant) SS Horst Schumann en fuite depuis seize ans. Sur les crimes de guerre dont il s’est rendu coupable, il n’y a aucune ambiguïté, aucune discussion, toutes les preuves sont entre les mains de la justice allemande. Sa fiche d’évadé précise qu’on le recherche pour meurtres de masse. Sa photo le présente en costume d’officier SS avec un visage féroce, l’air d’un bouledogue, mais un bouledogue avec de gros sourcils, un nez tranchant, une bouche mal dessinée et une raie crayonnée sur le flanc gauche. Il a sévi à Auschwitz-Birkenau, c’est le diable en personne, il faut le traquer, quitte à retourner chaque pierre.
On est en 1961, un an après la capture d’Eichmann. À travers le monde, ils ne sont pas si nombreux les fugitifs SS qui errent de planque en planque. Sur la liste établie par le Mossad, Schumann voisine avec les bouchers responsables des massacres de Lublin, Riga ou Vilnius. Schumann est du même bois que le chef de la Gestapo, que le bras droit de Hitler, que l’inventeur des camions à gaz. Ces hommes s’appellent Alois Brunner, Martin Bormann, Heinrich Müller, Walter Rauff, Klaus Barbie, Franz Murer, Ernst Lerch, Herberts Cukurs ou Josef Mengele. Horst Schumann n’a pas vraiment de surnom comme « l’ange de la mort ». Mais il a cette originalité, c’est un broussard : il a choisi la savane africaine plutôt que la pampa d’Amérique latine.
La lueur d’une lampe-tempête suffit pour apercevoir les contours du camp. Schumann écoute les petites bêtes sauvages et les grosses qui chantent, frémissent, se tuent et s’unissent jusqu’au bivouac encadré de massifs épineux. Schumann est là pour chasser, seul au monde, sans boy ni porteur de fusil. Son équipement tient dans un large sac à dos : une chemise élimée, un short, une couverture, un roman recommandé par Goebbels, la tente, et le ravitaillement. Il entend laisser s’écouler deux jours avant de rentrer au bercail. Accra n’est pas fréquentable en ce moment. Il a quitté la ville le matin même aux commandes d’un biplan jaune et noir, un modèle Gipsy Moth. C’est un bon pilote, il a survolé des espaces illimités – rivières, immenses horizons de grands arbres –, et, entre les nuages, sous les jeux de lumière, il a vu la masse rocheuse des éléphants. Il s’est rapproché en piqué, tel un as des combats aériens, et alors sont aussi apparues des girafes, la tête ondoyante, gracieuses comme des anémones, les jambes pareilles à des hautes tiges. L’appareil est posé sur une piste à quelques heures de marche. En fin de journée, il a choisi cette clairière pour dormir. Il s’y sent à présent optimiste. Il maudit parfois sa vie de fuyard et de vaincu, il n’en revient pas de devoir se contenter de l’Afrique – pour les autres, Buenos Aires semble plus plaisante, quand même –, mais dans des moments comme celui-ci, gagné par le calme de cette nature, libéré de tous ses poids, il n’échangerait sa place pour rien au monde. Tant mieux s’il termine ses jours en Afrique. À cinquante-cinq ans, c’est un nouveau départ. L’Allemagne n’a plus d’importance.
Schumann s’apprête à lire. Il chasse les nuées humides qui se dissipent en gouttelettes sur la couverture du roman, quand jaillit une présence. Devant lui (à quoi, cinq mètres ?), un léopard le ramène des milliers d’années en arrière, à ce cadeau offert au chasseur, l’instinct primaire de survie qui stimule, même repu. Saisir son fusil a toujours été un réflexe naturel chez lui. Surgi des fourrés, le félin pourrait bondir, mais il hésite, et finit par allonger ses longs muscles palpitants. Schumann mesure sa chance : il est exact que les léopards sont de dangereux animaux, nombre d’entre eux se sont taillé une réputation de mangeurs d’hommes, mais, à sa façon, lui aussi est un mangeur d’hommes, sa cruauté égale les pires profanateurs de l’histoire, il a conduit à la mort des milliers de Juifs dit sa fiche du Mossad, alors ses yeux percent les ténèbres et il vise lentement pour tuer le premier (comme il aime ce spectacle de lui-même). Bang ! Revoilà la virilité du junker, le sang-froid typiquement prussien, un coup de feu a suffi. Suivi du cri effrayé des singes.
On dirait le fracas de grands cuivres wagnériens, l’écho se propage au loin, mais bien sûr impossible que ces sonorités retentissent aux oreilles d’Elizabeth II. Car au moment où Schumann se lève pour ramasser sa proie, avance à pas ralentis, évite une termitière, eh bien, au bal donné en son honneur à Accra, sa Royale Majesté exécute les figures d’un fox-trot. C’est pour ça que le chasseur a préféré la compagnie des hautes herbes. C’est pour ça que le SS se mêle une fois de plus aux chacals, hyènes et vautours. Schumann a consacré tellement de temps ces seize dernières années à se cacher, s’enfuir, user de mille précautions, que ce serait stupide d’être reconnu. Certes, il est le protégé du puissant dirigeant Nkrumah, cet homme qui s’affuble d’un nom réservé au Christ, le « Rédempteur » ou le « Messie » – les Blancs varient pour traduire Osagyefo de la langue kwa –, un homme, donc, qui lui a même offert la citoyenneté du pays. Après un séjour au Soudan, Schumann vit au Ghana depuis deux ans avec femme et enfants. Nkrumah le protège au point de rendre impossible son extradition. Mais les vengeurs du Mossad ?
Accra n’est pour Elizabeth qu’humidité et chaleur. C’est pour elle un immense dépotoir submergé par les insectes, une vague cité aux bâtiments inachevés, avec des cases en tôle ondulée survolées par des oiseaux blancs et maigres. Cependant, ce soir, elle trouve son cavalier rayonnant. Nkrumah est un bel homme, fier de conduire d’une main de fer la première colonie d’Afrique indépendante. À son bras, sa Royale Majesté est auréolée d’une clarté vibrante. Ni le diadème de diamants hérité de Queen Mary ni le petit sac figé au pli du coude ne sursautent de façon inconvenante. Et voilà qu’on tire un feu d’artifice ! L’éclat des pétards est prodigieux, les fusées se déversent dans tous les coins du ciel. C’est un tel tonnerre d’explosions qu’on pourrait croire que la nuit leur tombe sur la tête. Après une certaine hésitation, la reine reconnaît son visage et celui de son hôte dans les spirales colorées.
Ce fox-trot est un moment unique en son genre. Sa Majesté danse à chaque voyage, mais, pour la première fois, la blancheur de son teint se manifeste au bras d’un Noir. « Le meilleur monarque socialiste du monde » persiflent les chancelleries occidentales. Un Noir, absolument noir, si NOIR que tout Buckingham s’étrangle face à cette version de High Life, jusqu’à Churchill, mais la dimension raciale n’entre pas en compte chez lui, il est au-dessus du lot. Bien avant le déplacement, le Vieux Lion s’est fendu d’une lettre au Premier ministre Harold Macmillan pour le mettre en garde :
« Ce voyage donne l’impression que nous cautionnons un régime qui se montre de plus en plus autoritaire et qui emprisonne sans procès des centaines d’opposants. »
La reine a passé outre.
Sans se douter le moins du monde que ce bras que lui tend si bien Nkrumah, le Rédempteur l’offre aussi à un SS couvert de sang.

1
Hambourg, été 2018
Lorsque j’entreprends l’écriture d’une histoire, il me faut, pour user d’une image facile, un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Nombre de romanciers insistent sur ces moments de perfection qui précèdent l’irruption des grands désordres. Bien entendu, il y a toutes sortes de façons de commencer un texte, chacun rédige de la façon qui lui convient, mais on en revient toujours à l’élément perturbateur et, pour ma part, le plus grand des chambardements intimes s’est annoncé par surprise, précisément par un temps magnifique. Pour une fois sans que cela vienne d’une invention, mais surgissant dans la vraie vie de Paul Breitner, si je peux ainsi parler de moi à la troisième personne. J’ajoute que le cadre idyllique a aussi joué son rôle : les jardins escarpés de Blankenese, ses vues parfaites sur l’Elbe, ses villas édifiées dans l’entre-deux-guerres par les armateurs les plus puissants de Hambourg.
Il y a une grande part de vérité au surnom de cette banlieue chic : « la colline des millionnaires ». Blankenese est en tout point un territoire opposé au mien, le kiez1 de Sankt Pauli, jadis zone louche des marins, des Beatles, des punks et des squats. Je n’y mettrais pas les pieds si Viktor, mon grand-père, n’avait eu la chance d’acheter ici. Il vit entouré de maisons luxueuses, dans un ancien logis de pêcheur. Alors, forcément, mon regard est biaisé. J’ai emprunté des centaines de fois la piste cyclable du Strandweg pour venir chez lui. Chaque fois, j’ai l’impression de traverser une frontière. J’avoue que la balade me stimule. Couvrir la distance à vélo me permet de tirer des fils et développer mes personnages. Probablement fais-je l’un des plus beaux métiers du monde. Je peux l’exercer aussi bien à mon bureau qu’en pédalant tranquillement. Mais si je me souviens bien de ce jour, je ne crois pas que mon périple donne lieu à un quelconque tour de magie professionnel. Comme d’habitude, je relâche surtout mes nerfs. Tout mon corps se réjouit, des articulations aux poumons. Le murmure des arrosages accompagne mon entrée dans la zone friquée. Et maintenant que j’y songe, la brise qui remonte du fleuve sent le pin et les cyprès toscans. Un parfum de terre lointaine flotte dans les environs. Il fait incroyablement chaud. L’été chavire plein sud et nous déroute. Un présage ? L’Afrique, déjà ?

Pour une raison que je ne pourrais expliquer, je déteste le toit de chaume et la façade à colombages de la maison de Viktor. Je n’aime pas non plus l’odeur qui s’en dégage sitôt le seuil franchi. Instantanément, le chèvrefeuille du jardin cède la place à l’aigre du renfermé, à la poussière sur
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Cette période de hauts et de bas dura tant bien que mal jusqu'aux législatives du mois d'août 1949 remportées sur le fil par les conservateurs. Car une fois ce résultat acquis, Smith lui expliqua un beau matin qu'il souhaitait passer à autre chose. Il ne concevait pas de passer du temps dans un pays «normal». Avant de s'envoler pour promener son regard perçant en Indochine, il plissa les yeux dans la fumée de sa cigarette à l'image d'un Clarke Gable et laissa Viktor s'en retourner à Hambourg sur ces mots:
— Gamin, je crois que tu as un bel avenir devant toi.
À Hambourg, Viktor fit le tour des rédactions. Durant deux années il trouva de bons angles et sa carrière de pigiste décolla. Il avait le chic pour dénicher les bons faits divers, des histoires qui racontaient en creux la nouvelle société allemande, déballaient la violence sourde d’un pays qui n'était pas seulement vaincu, mais encore un vaste marécage hitlérien qui comptait en son sein des milliers et des milliers de psychopathes. p. 253
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Nous [les écrivains] traversons d'intenses phases de doute, et à présent c'est mon "sujet" qui me préoccupe. La narration viendra d'elle-même ; avec l'expérience, la trame n'est pas ce qu'il y a de plus compliqué. Le signal d'alarme, qui pourrait me clouer sur place, c'est un avertissement, disons, moral. Je ne veux pas d'un résultat sentimental. Je ne veux pas inscrire ce projet dans le flot des livres qui esthétisent la Seconde Guerre mondiale.
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Viktor respira un bon coup, il gambergeait, s’apprêtait à leur adresser la parole, mais quelque chose le retint. Comme avec Koch, il se rendit compte qu’il ne maîtrisait pas les codes et les faux-semblants des expatriés d’Accra. Il jouait gros à s’exposer aussi simplement. Il tourna les talons et se dirigea vers le salon en prêtant attention à ces notes de piano qui s’envolaient pour se perdre dans les ombres du jardin. Une interprétation s’achevait, une autre commençait. Il reconnut sans hésitation les premières notes du Nocturne no 20, op. Posthume. C’était l’air de Vera. On jouait partout Chopin, mais la première chose à laquelle il pensa, bien sûr, fut qu’elle lui adressait un signe
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Nina venait des photos terrifiantes affichées sur les mirs de Hambourg, des tirages effroyables, réalisés à la libération des camps d’extermination, pour que chacun mesure l’étendue des crimes hitlériens, ces hommes qui avaient des loups dans la tête…
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