Génération X

Immédiatement, dans le jardin, la nature commença à reprendre ses droits. Au dru gazon Kentucky Bluegrass s'ajoutèrent rapidement des plantes locales, des herbes et des fleurs plus douces. Rudbeckies, myosotis, cerfeuil sauvage, lin de Nouvelle-Zélande se mêlèrent à l'herbe qui commençait à envahir, adoucir et ponctuer les allées et les sentiers pavés. Les formes dégingandées, luxuriantes et piquantes des rosiers engloutirent le kiosque sous leurs épines et leurs cynorrhodons ; la glycine étrangla le porche ; lierre et buissons ardents se répandirent sur la rocaille comme une soupe qui déborde. Une foule de petites créatures élut domicile dans le jardin. En été, la pointe des brins d'herbe était baignée dans une brume de soleil où voletaient papillons, moucherons silencieux, idiots et amniotiques. Geais tapageurs et loriots affamés plongeaient et virevoltaient dans ce nectar aérien. Tel était le monde de Linda. Elle y laissait errer son regard de l'aube au crépuscule, depuis son matelas sur la terrasse, sans rien dire, sans rien communiquer, sans rien révéler.
(Folio/Gallimard, 2023, p. 226-227)

(...) D'abord, je veux que tu me dises un truc : quand tu seras mort et enterré et en train de flotter vers l'endroit où on va après, ce sera quoi ton dernier souvenir de la Terre ?
- Quoi ? Je comprends pas.
- Pour toi, c'est quoi le moment qui définit la vie sur cette planète ? Qu'est-ce que tu retiens ?
Il y a un silence. Tobias ne voit pas où elle veut en venir, et moi non plus. Elle reprend :
- Tes fausses expériences payantes ne comptent pas, ton rafting en eaux vives ou ta balade à dos d'éléphant en Thaïlande. Je veux entendre un petit moment de ta vie qui me prouve que tu es vraiment vivant.
Tobias n'est pas du genre à lâcher si facilement des infos. Je crois qu'il a besoin qu'on lui montre l'exemple.
- J'en ai un, dit Claire.
Tous les yeux se tournent vers elle.
- La neige, nous dit-elle. La neige.
(Folio/Gallimard, 2023, p. 167)

Brésiliation : Creusement du fossé entre riches et pauvres et disparition concomitante des classes moyennes.

Nos parents vivaient mieux, p. 24

FAITES
SEMBLANT
D’ETRE
VOUS

DANS LE
NOUVEL ORDRE MONDIAL
TU COMPTERAS PEUT-ETRE
POUR RIEN

Il est temps de fuir. Je veux retrouver ma vie, la vraie, avec ses drôles d’odeurs, ses îles de solitude et ses longues et limpides virées en voiture. Je veux mes amis et mon boulot d’abruti, servir des cocktails à des paumés. La chaleur me manque, la sécheresse et la lumière aussi.

Tes parents au moins discutent des Grandes Questions. Moi j’essaie aves les miens, je parle de choses importantes pour moi, et c’est comme si je leur parlais en bratislavien. Ils m’écoutent avec indulgence le temps qu’il faut, et quand je suis à bout de souffle, ils me demandent pourquoi je vis dans un endroit perdu et comment va ma chère femme.
Lâche à tes parents la moindre confidence et ils s’en serviront comme d’une pince pour te faire sauter les verrous et te réorganiser une vie sans aucune perspective.

- Tu devrais voir chez mes parents, Dag. On dirait un musée d’il y a quinze ans. Rien n’a changé, ils ont la trouille du futur. Tu n’as jamais eu envie de mettre le feu à la maison de tes parents juste pour les sortir de leur train-train? Juste pour qu’il leur arrive déjà quelque chose? Les parents de Claire au moins divorcent de temps en temps. Ça maintient en vie.
– Tes parents vieillissent, c’est tout. Ça arrive à tous les vieux. Ils tournent barges; ils s’ennuient, ils perdent leur identité.

Bon Dieu Margaret. Tu devrais vraiment de demander pourquoi on se fait chier à se lever tous les matins. Mais vraiment: pourquoi travailler? Pour acheter plus? Ca n’explique pas tout. Regarde-nous, tous. Quelle est la certitude commune qui nous a tous amenés ici?
Tu comprends, je nous vois tous nous crever pour acheter, acheter, mais je ne peux m’empêcher de penser que nous ne méritons pas tout ça…

Tu sais papa, tu as le choix entre acheter une maison et vivre... moi, je vis.