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Citations sur Un dimanche à la piscine à Kigali (73)

Le fonctionnaire lui expliqua que le Canada, pays sans importance dans le concert des nations, exerçait néanmoins dans certaines régions du monde une influence qui pouvait en déterminer l'avenir et surtout l'accès à la démocratie. C'était le cas du Rwanda. Le gouvernement canadien avait accepté d'y financer avec quelques autres partenaires l'établissement d'une télévision dont la première mission serait éducative, en particulier dans les domaines de la santé communautaire et du sida.
- On commence par les besoins hygiéniques, par des émissions sur la prévention, sur les régimes alimentaires, puis l'information circule, et l'information, c'est le début de la démocratie et de la tolérance.
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Autour de la piscine, on discute de deux sujets importants.
Les Blancs consultent la liste des fromages et inscrivent
leur nom sur le feuillet de réservation. On viendra
même du parc des Gorilles à la frontière du Zaïre pour
déguster le traditionnel buffet de fromages français, dont
la première pointe sera coupée par l’ambassadeur luimême.
Aux tables occupées par des Rwandais, en majorité
des Tutsis ou des Hutus de l’opposition, on a baissé le ton.
On parle de la maladie du président considérée déjà
comme un fait avéré, et de la date probable de sa mort et
de sa succession. André, qui distribue des capotes pour
une ONG canadienne et qui à ce titre est un expert en
matière de sida, calcule fébrilement. D’après la rumeur, il
baiserait depuis trois ans avec sa secrétaire. S’il a été assidu
et que le mari de sa secrétaire ait déjà le sida et que les
dieux soient avec nous, le président Juvénal en a pour au
plus un an. On applaudit à tout rompre. Seul Léo, un Hutu
qui se dit modéré pour pouvoir baiser la soeur de Raphaël,
seul Léo n’applaudit pas. Léo est journaliste à la télévision
qui n’existe toujours pas et que Valcourt devait mettre sur
pied. Léo n’est pas modéré, c’est seulement qu’il bande
pour Immaculée. Léo, même s’il vient du Nord, la région
natale du président, est devenu récemment membre du
PSD, le parti du Sud. Au bar de la piscine, ce geste courageux
en a impressionné plus d’un et Léo pavoise. Il faut
préciser que la seule pensée de pouvoir dévêtir Immaculée
donnerait des convictions à plus d’un pleutre. Mais Léo est
aussi tutsi par sa mère. Léo, dans la tourmente naissante,
cherche le camp qui sauvera sa petite personne et lui permettra
de réaliser son rêve: devenir journaliste au Canada.
Les Rwandais sont gens de façade. Ils manient la dissimulation
et l’ambiguïté avec une habileté redoutable. Léo est
une caricature de tout cela. Il est absolument double. Père
hutu, mère tutsie. Corps tutsi, coeur hutu. Carte du PSD et
rédacteur des discours de Léon, l’idéologue extrémiste
hutu, dit l’Épurateur, ou le Lion Vengeur. Discours de colline,
vêtements du 6e arrondissement. Peau de Noir, rêves
de Blanc. Heureusement, pense Valcourt, Immaculée
n’entretient que mépris et dédain pour Léo qui s’escrime
en fleurs et en chocolats.
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- Gentille, comment peux-tu rire aussi facilement?
- Parce qu'ils sont drôles. Parce qu'ils rient. Parce que maintenant il fait chaud et bon. Parce que tu es là. Parce que la bière me chatouille le dedans des joues et que j'aime bien Cyprien et Georgina... Tu veux que je continue? Alors je continue : parce que les oiseaux, la mer que je ne vois pas et que je n'ai jamais vu, parce que le Canada que je verrai peut-être un jour. Parce que maintenant je vis, parce que les enfants vivent et parce que maintenant nous sommes bien. Tu veux que je continue?
Il secoua la tête. Gentille avait raison.
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A une dizaine de mètres, quatre jeunes miliciens portant la casquette du parti du président faisaient des moulinets avec leur machette. La joyeuse et bruyante anarchie du marché s'était éteinte, comme dans une forêt soudain se taisent les oiseaux quand les prédateurs s'y glissent.
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De plus en plus, à Kigali et encore en province, la vie ne tenait qu'à un mot, à un caprice, à un désir, à un nez trop fin ou à une jambe trop longue.
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Si l'on veut continuer à vivre, pensait Valcourt en longeant le marché qui reprenait ses anciennes couleurs, il faut croire à des choses aussi simples et évidentes : frères, sœurs, amis, voisins, espoir, respect, solidarité.
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À cette heure précise où les buses s’installent autour de
la piscine, les parachutistes français, dans leurs transats de
résine, se donnent des airs de Rambo. Ils reniflent toutes
les chairs féminines qui s’ébattent dans l’eau puant le
chlore. La fraîcheur importe peu. Il y a du vautour dans ces
militaires au crâne rasé à l’affût au bord d’une piscine qui
est le centre de l’étal, là où s’exhibent les morceaux les plus
rouges et les plus persillés, autant que les flasques et les
maigres bouts de chair féminine dont l’unique distraction
est ce plan d’eau. Dans la piscine, le dimanche et tous les
jours vers cinq heures, quelques carcasses rondouillettes
ou faméliques troublent l’eau sans se douter que les paras
n’ont peur ni de la cellulite ni de la peau que seule l’habitude
retient aux os. Si elles savaient quel danger les
menace, elles se noieraient d’extase anticipée ou entreraient
au couvent.
En ce dimanche tranquille, un ancien ministre de la
Justice se livre à d’intenses exercices d’échauffement sur le
tremplin. Bien sûr, il ignore que ces amples moulinets font
glousser les deux prostituées dont il attend un signe de
reconnaissance ou d’intérêt pour se jeter à l’eau. Il veut
séduire car il ne veut pas payer. Il percute l’eau comme un
bouffon désarticulé. Les filles rient. Les paras aussi.
Autour de la piscine, des coopérants québécois rivalisent
de rires bruyants avec des coopérants belges. Ce ne
sont pas des amis ni des collègues, même s’ils poursuivent
le même but: le développement, mot magique qui habille
noblement les meilleures ou les plus inutiles intentions. Ce
sont des rivaux qui expliquent à leurs interlocuteurs
locaux que leur forme de développement est meilleure
que celle des autres. Ils ne s’entendent finalement que
sur le vacarme qu’ils créent. Il faudrait bien inventer un
mot pour ces Blancs qui parlent, rient et boivent pour que
la piscine prenne conscience de leur importance, non,
même pas, de leur anodine existence. Choisissons le mot
«bruyance», parce qu’il y a du bruit, mais aussi l’idée de
continuité dans le bruit, l’idée d’un état permanent, d’un
croassement éternel. Ces gens, dans ce pays timide, réservé
et souvent menteur, vivent en état de bruyance, comme
des animaux bruyants. Ils vivent également en état de rut.

Le bruit est leur respiration, le silence est leur mort, et le
cul des Rwandaises, leur territoire d’exploration. Ce sont
des explorateurs bruyants du tiers-cul. Seuls les Allemands,
quand ils descendent en force sur l’hôtel comme
un bataillon de comptables moralisateurs, peuvent rivaliser
de bruyance avec les Belges et les Québécois. Les Français
d’importance ne fréquentent pas cet hôtel. Ils se barricadent
au Méridien avec les hauts gradés rwandais et
avec les putes propres qui sirotent du whisky. À l’hôtel, les
putes sont rarement propres. Elles boivent du Pepsi en
attendant qu’on les choisisse et qu’on leur offre de la bière
locale, ce qui leur permettra peut-être de se voir offrir plus
tard un whisky ou une vodka. Mais, en femmes réalistes,
elles se contentent aujourd’hui d’un Pepsi et d’un client.
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Nous sommes toujours prisonniers de nos paroles.
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Je m'appelle Méthode, cadre à la Banque populaire, disc-jockey les week-ends à la discothèque de Lando. Ma musique préférée est le country et les chansons sentimentales. Je suis tutsi, vous le savez, mais avant tout, je suis rwandais. Je vais mourir dans quelques heures, je vais mourir du sida, une maladie qui n'existait pas il y a quelques années selon le gouvernement, mais qui déjà me défaisait le sang. Je ne comprends toujours pas très bien comment la maladie fonctionne, mais disons que c'est comme un pays qui attrape tous les défauts des gens les plus malades qui le composent et que ces défauts se transforment en maladies différentes qui s'attaquent à une partie du corps ou du pays. Voilà à peu près ce que j'ai compris de la maladie, c'est une forme de folie du corps humain qui succombe morceau par morceau à toutes ses faiblesses.
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Le grand marché de Kigali, comme un tableau fauve et éclatant, disait à sa manière qu'existe une Afrique indestructible, celle de la proximité, de la débrouillardise, l'Afrique de la conversation interminable, de l'endurance, de la persistance .
p107
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