- L'amour ce n'est pas la graine. C'est semer. C'était ainsi que disait l'ancien.
C'était un vieux procédé pour révéler la trahison. La lavandière devait lâcher les tissus dans le courant. Le linge qui ne coulait pas, flottant dans l'ondulation, ce linge appartenait au coupable ou à la coupable.
- Et il y a du linge qui n'a pas été emporté par le courant ?
- Il y en a eu oui, mon fils. Ce linge n'a pas sombré dans l'eau. Il a sombré en moi.
Elle avait eu des fils, ils étaient tous partis. J'étais né hors saison, elle s'était déjà fatiguée d'être femme.
Avec violence, il me tira par les vêtements. Montrant que j'étais une chose, non quelqu'un. Montrant qu'il était un homme, non père. La honte me faisait davantage mal que les coups qui s'avoisinaient.
- La vieillesse n'est pas un âge, c'est une décision.
- Une décision ?
- La vieillesse est un abandon.
Sur son bras tendu, elle exhibait les habits de cérémonie. Dans l'autre main dégouttaient mes uniques chaussures :
- Mettre les deux, maman ?
- Chausse-toi, complet.
Jusque-là, je ne pouvais porter qu'une chaussure à la fois. Ainsi impairement, j'économisais en chaussures. A cause de ça, ce jour-là j'en ai même boité, déshabitué que j'étais de marcher avec une double semelle.
- Mari, pourquoi autant de paresse ?
- Je ne dors pas par paresse. Je dors de tristesse.
Ce n'étais pas de la tristesse. C'était un vide. Les tristes ont un ciel. Gris, mais un ciel. Les désespérés ont un désert. Mon père regardait en arrière : c'était davantage l'oublié que le vécu. Ce qu'il ne se rappelait pas, c'était pourquoi il avait oublié de vivre.
-La première fois que je t'ai vu, mon fils, tu n'étais pas encore né. je t'ai vu dans une goutte de pluie.
Oui, elle m'avait vu dans une goutte qui ruisselait dur la vitre, comme si elle entendait faire partie de la maison. Ma mère avait recueilli cette goutte sur le bout de son doigt et l'avait ensuite semée entre ses cils. A cette époque, elle avait promis:
-A la prochaine tristesse c'est toi que je pleurerai mon fils...
Face au froid, fais avec le cœur l’inverse de ce que tu fais avec le corps : déshabille-le. Plus il sera nu, plus il trouvera le seul réconfort possible – un autre cœur.
Comme il avait toujours dit : le fleuve et le cœur, qu’est-ce qui les unit ? Le fleuve n’est jamais fixe, comme le cœur.