Pour eux, il était
inconcevable d’enfermer un enfant, aussi violent soit-il. Ils
trouvaient quelque chose d’inadmissible et d’excessif dans
cette satanée ordonnance de 19451. Alors, par désaccord
ou aveu d’incapacité, beaucoup optaient plutôt pour des
postes plus abordables, dans lesquels les défis du quotidien
ne se rebellent pas en vous entaillant le bras à coups de
cutter ; où les remises en question ne sont pas violentes,
brutales, imprévisibles et spontanées ; où elles ne vous
bondissent pas au visage tels des vampires assoiffés
d’hémoglobine.
« La punition est le seul moyen d’apprendre une leçon. C’est
dans l’échec que l’on apprend à être meilleur », me répétait
mon oncle, parfois approuvé en silence par le reste de ma
famille. Je détestais leurs discours humiliants et leurs
sarcasmes. Contrairement à eux, je m’épanouissais à regarder
une âme s’éveiller à la lumière et prendre le chemin de
l’honnêteté. Un chemin dont je pensais avoir la clef.
Tout le monde est tendu, ici.
Vous êtes au bord de la crise en permanence, sur le fil du
rasoir, et c’est pour ça que je préfère vous prévenir : ici,
on a les oreilles fragiles, on n’aime pas les gros mots du
genre « délinquant » pour dire « enfant ». Vous le verrez
rapidement, ce sont des adolescents abîmés, écorchés par
une vie qui n’a pas été facile.
Une lutte de chaque instant s’opérait
en moi pour ne pas sombrer. La chaleur, le stress, les murs
sans images me poussaient dans ce sens. Je tombais
mollement dans les limbes, secouée de sursauts à chaque
son. L’atmosphère du petit salon était paisible et confortable.
On ne choisit pas la voie du travailleur social sans en faire unsacerdoce, pensais-je avec la plus grande ferveur – mais
peut-être me berçais-je d’illusions.