Présentation de l'ouvrage "Le silence et la parole, contre les excès de la communication", Editions Eres 2017, auteurs : Philippe Breton et David le Breton
Cette nouvelle manière [individualiste] […] de voir les relations avec autrui consiste, d’une part, à prendre conscience que la représentation commande tout, d’autre part, qu’on peut la « travailler » pour interposer entre soi et autrui une sorte d’écran de protection. De cette conception va être déduit tout un idéal de vie qui est la matrice des rapports sociaux dans une société individualiste.
Dans un autre domaine, plus connu, celui de la religion, on voit l’intégrisme, les intégrismes, partis pratiquement de rien il y a quelques années, monter aujourd’hui à l’assaut des consciences musulmanes, juives, chrétiennes ou hindouistes. Leur succès est aussi lié au fait qu’ils rendent, bien provisoirement certes, une dignité à ceux à qui ces messages enflammés s’adressent. Ceux qui n’ont rien, ceux qui sont méprisés, ceux à qui plus personne ne s’adressait se trouvent de nouveau en posture d’être des « personnes susceptibles d’être convaincues ». La manipulation de la parole, là comme ailleurs, progresse en instaurant d’abord un renouveau de la parole.
Il est rare aujourd’hui que celui qui le prononce soit totalement, ou même partiellement, l’auteur de son discours. Le corollaire de cette situation est que celui qui conçoit le message n’est pas souvent en position de l’assumer.
Ne serait-ce pas du fait de la dégradation, accidentelle ou non, des formidables capacités de traitement de l’information dont dispose l’animal que l’un d’entre nous, du coup pré-anthropoïde, serait devenu humain ? […] Ainsi l’homme, échouant à traiter l’information avec la stabilité, la rigueur et l’exhaustivité qui conviennent à l’état instinctif, inventerait une parole en perpétuelle recherche de son adéquation avec le réel.
On se tromperait sur le fond du problème si l’on ne voyait dans l’intégrisme aujourd’hui qu’un simple mouvement de fanatisation irrationnel et magique. Celui-ci utilise au contraire toutes les ressources du convaincre, tous les médias qui permettent de faire circuler efficacement les messages de propagande […].
La manipulation s’appuie sur une stratégie centrale, parfois unique : la réduction la plus complète possible de la liberté de l’auditoire de discuter ou de résister à ce qu’on lui propose. Cette stratégie doit être invisible car son dévoilement indiquerait qu’il y a tentative de manipulation.
Une machine logique; l'Ars magna de Raymond Lulle (1234-1315);
p 36 L'appareil consistait en une série de cercle concentriques portant des mots significatifs rangés dans un certain ordre. En amenant une séquence donnée de mots formant un question, on voyait apparaître les mots qui formaient la réponse. La méthode était fondée sur l'idée que tout le savoir est commandé par un petit nombre de catégories fondamentales et nécessaires. On pouvait donc explorer la totalité des connaissances en réalisant toutes les combinaisons possibles de ces catégories. L'Ars magna était les premier pas "vers un langage complet et automatique pour le raisonnent"
La parole humaine englobe ces trois registres, exprimer, informer, convaincre.
Dans l’acte de manipulation, le message, dans sa dimension cognitive ou sous sa forme affective, est conçu pour tromper, induire en erreur, faire croire ce qui n’est pas.
N’y a-t-il pas une connexion à faire entre la parole manipulée et certaines formes de plus en plus développées de l’individualisme contemporain ?