Les huit morts de Julian Creek ne sont qu'un prétexte pour jeter un bien triste sire, Clarence Hanlin, sur la route du jeune Benjamin
Shreve et de sa soeur Samantha. Celle-ci poursuit une âpre quête de vengeance après qu'une gigantesque panthère lui a labouré le visage avant de dévorer sa mère. Une idée fixe, une volonté intransigeante et un sacré caractère qui désespèrent Benjamin, gamin un peu pleutre mais raisonnable, qui n'arrive pas plus qu'elle à se projeter dans un quelconque avenir. Rien de fortuit dans le parallèle qu'on est tenté de faire avec le «
Moby Dick » de
Herman Melville puisque c'est précisément l'un des rares livres que Benjamin ait lu et relu.
Le roman s'ouvre cependant trois ans plus tard, peu après la fin de la guerre de Sécession, sur le procès de Clarence Hanlin, absent mais accusé d'avoir pendu huit hommes à Julian Creek, et le témoignage très décousu de Benjamin qui mêle sans lien apparent cet ancien Sesesh et la panthère. Pressé de continuer sa tournée, le juge propose de poursuivre le récit par correspondance mais nous n'aurons que les lettres de Benjamin, comme s'il s'agissait de ses archives personnelles. Sa personnalité se construit donc au travers des quelques mots que lui adresse Benjamin avant chaque nouveau chapitre de son histoire, par petites touches.
Tous les personnages ne nous apparaissent en fin de compte qu'à travers le point de vue de Benjamin, seul interlocuteur du juge à qui il relate ses rencontres et ses aventures. S'il s'exprime souvent avec candeur, c'est un jeune homme plutôt lucide qui porte sur ses compagnons de quelques jours un regard plus nuancé qu'il y paraît. Il a conscience du poids de son témoignage concernant le procès de Hanlin, et son agacement vis-à-vis de Samantha est tempéré par un attachement profond qu'il peine à avouer. La poursuite de la panthère, Hanlin à leurs trousses, devient pour le frère et la soeur quelque chose d'initiatique.
Le roman se conclut sur deux chapitres un peu différents en forme d'épilogue. On en sort rassuré, soulagé et admiratif pour chacun des protagonistes. Des boucles se ferment, auxquelles on ne s'attendait pas forcément ou que l'on avait oublié, et d'autres restent ouvertes – à charge pour le lecteur de se faire sa propre opinion.
Ainsi c'est dans un style apparemment simple que le lecteur est invité à suivre le cheminement de ce jeune homme de 17 ans. Si l'on n'y trouve pas de grandes envolées épiques, le fait qu'on soit au plus proche des sensations d'un Benjamin souvent dépourvu de sensibilité romantique rend pourtant les échanges et les scènes d'action très réalistes et efficaces. On est effrayé avec lui devant la taille surnaturelle de la panthère, épuisé d'avoir veillé toute la nuit au milieu d'un orage spectaculaire, surpris d'avoir trouvé le courage de défendre ce qui compte vraiment, importuné par les odeurs de chien mouillé aspergé de putois, etc, etc… Il n'y a pas de réponses toutes faites – ou plutôt plusieurs dont aucune n'est forcément la bonne, mais des doutes et des interrogations, et une sorte de paix dans l'acceptation qu'on ne peut pas tout contrôlé… surtout pas une Samantha armée d'une pétoire.
Au début j'ai trouvé que le roman était bon mais sans plus. Une histoire et des personnages intéressants, quelques rebondissements inattendus, mais globalement linéaire. Mais ça fonctionne vraiment, on est pris par l'action, on s'attache aux personnages, même aux plus irascibles comme Hanlin ou Samantha, même aux plus discrets comme le juge ou ?... Interrompre la lecture pour descendre du bus est une déception et une impatience. Probablement pas le roman du siècle, mais en fin de compte j'ai passé un très bon moment en bonne compagnie.
Merci en tout cas aux éditions 10/18 et à Babélio de m'avoir permis de lire ce roman !