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Citations sur Un été d'herbes sèches (11)

Augustin se joignit à nous, trop heureux de pouvoir se dégourdir les jambes après leur périple en voiture de la journée. En chemin, il m'interrogea sur Kléber, ma famille, le collège, mes projets d'avenir et mes passions. Même s'il enseignait dans un grand lycée, il ne chercha pas à manifester un quelconque mépris pour l'adolescent et l'élève moyen que j'étais. J'appréciai cette simplicité à tel point que je n'hésitai pas, tout en poussant les vaches au retour, à le solliciter pour qu'il m'éclaire sur la guerre de 1939-1940, Pétain, le gouvernement de Vichy, la politique de collaboration, la Milice, les maquis et les stalags. Un professeur d'histoire comme Augustin pourrait d'autant plus répondre à mes multiples questions qu'il avait combattu en 1939-1940, séjourné derrière les barbelés des camps et participé activement à la Résistance comme il l'avait précisé à Kléber dans la réponse à son invitation de camper quelques jours aux Vernhes. Ma demande ne manqua pas de l'intriguer. Montrer autant d'intérêt pour ces années noires était inhabituel chez un gamin de quinze ans. Il comprit mieux ma motivation en constatant que mon insatiable curiosité buttait contre le mutisme de mon père, l'intransigeance de Marie, la trop grande discrétion de Raymond et de Kléber. Il ne s'était pas comporté de cette manière avec ses deux garçons : il leur avait raconté sa propre guerre avec ses souffrances et ses moments d'euphorie, les horreurs qu'il avait approchées et la flamme qui l'avait animé dans la Résistance. Une matinée ou deux ne suffiraient pas mais il m'accorderait du temps. La manière dont il s'exprima sur la mémoire et l'Histoire me laissa penser qu'il ressentait la nécessité d'informer sur cette période peu glorieuse et de témoigner pour les générations de l'après-guerre. À l'inverse de mon père et de tant d'autres, Augustin voulait que l'on sache et que l'on n'oublie pas. Je mesurai soudain le privilège de l'avoir rencontré dans ce bout-du-monde où j'avais l'impression de vivre en marge du siècle.
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Mon père avait accompli des activités physiques aussi difficiles puisqu'il avait travaillé à l'entretien de la voirie dans un kommando, près de Sarrebruck. Creuser des fossés à la pioche et à la pelle, casser de la pierre à la masse, charrier des matériaux et combler les ornières des chemins était sûrement son quotidien... Je m'étais déjà imaginé ce qu'il avait supporté pendant ses années de captivité : des journées éreintantes, des brimades, des insultes, des coups de crosse lorsque la besogne n'était pas effectuée d'une manière correcte ou pas assez rapidement, et la cravache... De l'allemand, il n'avait retenu qu'un vocabulaire bien squelettique. Il résonnait à mes oreilles comme les claquements de bottes des soldats du Reich dans les parades. Ces quelques mots, je les avais entendus ce printemps dans un documentaire consacré à l'occupation de la capitale : Achtung (attention), Schnell (vite), Schlague (fouet, cravache), Nein (non), Terroristen (terroristes).
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Dès le lendemain, il m'entraîna de bonne heure jusqu'à la prairie de la Font pour pouvoir profiter de la fraîcheur du matin en bordure du ruisseau. Il avait emmené ses deux faux et sa pierre à aiguiser. Les bras encombrés de deux fourches ainsi que de la musette pour le casse-croûte, je conduisis les quatre vaches dans leur pâturage avant de le rejoindre. Les herbes hautes aux grappes de graines bien gonflées étaient lourdes de rosée. Elles tombèrent facilement sous le tranchant dès que Kléber accomplit ses premiers mouvements pour dégager un passage. La première demi-heure, je le regardai travailler : il progressait d'un pas assuré en parallèle au chemin, les muscles bandés, une certaine raideur dans la cadence, les reins ceinturés par une étoffe de flanelle qu'il avait enroulée sur plusieurs épaisseurs pour se protéger d'un coup de froid, la lame à ras de terre sans jamais l'effleurer. Il avait endossé une chemise en coton d'autrefois, dont il avait retroussé les manches au-dessus du coude pour être à l'aise dans ses gestes. Je comptais attendre qu'il ait effectué quatre ou cinq rangs avant de démêler à la fourche les andains d'herbe fraîche pour ne pas le gêner. Heureux, il chantait comme les équipes de faucheurs d'avant 14. Le talon était fourni mais il ne semblait pas peiner pour le couper.
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En chemin, je songeai à l'agriculture telle que l'avaient pratiquée mes grands-parents, que j'avais découverte grâce à mon estivage aux Vernhes. Elle disparaissait sous les assauts d'une révolution qualifiée de silencieuses mais efficace, modernisant les campagnes avec des machines et des races sélectionnées. Ce monde que j'avais adopté le temps d'un été était à l'agonie.
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Infatigable Marie! Première levée, elle était la dernière couchée.
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Certes, c'était un homme d'autrefois, en marge du progrès, mais les principes qui prévalaient à l'époque de sa jeunesse dans certaines familles paysannes en avaient décidé ainsi. Quoique cette situation le handicapât aujourd'hui, elle ne lui enlevait pas ses qualités humaines. En quelques semaines seulement, il était devenu le grand-père que j'aurais souhaité connaître, interroger, écouter, entourer d'affection.
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L'honneur vaut plus que tout l'or du monde.
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Que de querelles stupides, de paroles fielleuses mais, surtout, de blessures jamais refermées!
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Cette crème au chocolat, nous la dégustâmes lentement et en silence. C'était un délice. Elle avait le goût des plaisirs vrais et simples.
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Les discussions avec Kléber avaient renforcé ma curiosité par rapport aux conditions de détention de mon père dans l'Allemagne d'Hitler. Je me promettais d'interroger mon oncle dès la semaine suivante mais je me demandais, déjà, ce qui m'attendait. Car j'avais découvert en quelques jours le fanatisme et ses dérives sanglantes, le cynisme, la violence politique, la cruauté et la lâcheté humaines, l'immoralité des profiteurs.
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