AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les lois de l'ascension (17)

ORNA

C’est l’odeur de nourriture qui la force à se retourner, celle de petits fours chauds posés sur une table à nappe blanche, à quelques pas, au moment où un garçon s’approche d’elle avec un plateau chargé de coupes de champagne. Elle refuse d’un geste vif, envahie par la certitude brutale qu’entre ce que ses yeux viennent d’absorber et ce liquide ç bulles, symbole de la bonne fortune, il n’existe pas de compatibilité. Et plus elle éprouve l’indécence de cette juxtaposition, plus le contraste malsain entre ces invités volubiles, réunis au nom d’une cause honorable, buvant et mangeant, et ces images du dénuement, du saccage arbitraire de la guerre, lui explose aux yeux. Ces gens, comme elles, sont bourrés de bonnes intentions comme on le serait de cachetons, et ne perçoivent plus leur arrogant privilège, celui de pouvoir prendre pour distraction la souffrance d’autrui. La scène résume ce qui, depuis des mois, ronge sa joie, accentue son mal-être, la sensation d’un écart grandissant entre la description médiatique des choses et les mêmes choses même, l’idée seule de ces choses, plus légère et volatile, en venant à gouverner le point de vue de chacun. C’était ce même écart vertigineux qui avait causé son insensibilité aux images du massacre de la Ghouta.

Douleurs et sévices montés en séries tournaient à la propagation d’une représentation macabre.
Commenter  J’apprécie          130
SELENE
Au lieu de songer à ce qu’elle devrait être en train de faire, elle pourrait profiter de sa paralysie temporaire pour se remémorer des souvenirs heureux entre Porter et elle afin d’être dans des dispositions plus favorables lorsqu’elle le rejoindra. Que soient ressuscités ces temps où chacun s’émerveillait de l’existence de l’autre, de sa disponibilité, de ses sinuosités de corps et de caractère qui semblaient coïncider avec les siennes, de la folle possibilité d’en orchestrer les coïncidences, du moins certaines expressions, des mots éclatants ! Ce qui lui revient en mémoire néanmoins se disloque : des bribes ou des flashs qui palpitent sans vraiment s’enchaîner aussi évanescents que l’émotion. Un rendez-vous surprise à la gare de Bercy – mais où allaient-ils ; une marche main dans la main sur la rive – mais de quel cours d’eau ; un petit-déjeuner faramineux sur une terrasse ensoleillée – mais de quelle lointaine ville ; une soirée d’anniversaire dans un relais et château – mais de qui ; une bataille de boue sur les berges d’une île – mais en quelle année ; une intense session de baise sur canapé, jets d’habites et emportements labiaux comme plus jamais il n’en éclate entre eux.
Quelques tirades en vrac : des poignantes et des discordante, des mensongères et des sans pitié, des ingrates, des ferventes, des éternelles. Surtout c’est son regard, celui d’alors, celui qui lui inondait l’âme par effraction, c’est ce regard dont elle conserve la trace intacte, l’empreinte à vif, comme s’il ne fallait jamais l’oublier pour qu’il eût existé.
Commenter  J’apprécie          120
Orna se désole que chaque contrariété devienne prétexte à une explosion de haine. Des batailles pour de petits coins d'espace, pour de minuscules priorités, chacun s'imaginant floué, flouté en permanence. Une espèce de névrose collective, pense Orna au moment où se faufile devant elle une fille qui s'affale sur le siège qu'elle avait repéré. Chaque feignant d'être seul finissait par l'être. Des corps et des corps côte à côte auxquels leur désintérêt mutuel donnait l'allure de spectres. Et Orna était pareille.
Commenter  J’apprécie          100
HOPE

Elle s’approche du tas de grues dont la taille lui semble bien chétive. Les quelques centaines d’origamis sont loin de suffire à rendre ce qu’elle a imaginé. Un monceau de fragiles petites grues en papier accumulées dans l’angle d’une pièce. C’est une image qu’elle avait d’abord vue, peut-être en rêve, elle n’en est plus certaine, mais dès lors elle avait été saisie par l’envie de la matérialiser. Elle voulait faire en sorte qu’existe, quelque part, cette apparition. Ce fut cette seule envie qui la guida lorsqu’elle se mit à chercher sur internet des indications sur le pliage des origamis dont la fascinait la simplicité suggestive. Elle en rata beaucoup, au début, forcée de ralentir ses gestes avant d’acquérir plus d’agilité, forcée d’admettre que le moindre décalage, la moindre approximation sapaient toujours le résultat final, irrattrapable a posteriori.

Pourquoi s’était-elle lancée dans ce projet ? Se le demandant, elle en perdit l’envie, son incapacité à formuler une réponse claire à sa propre question lui donnant l’impression de s’être engagée dans une entreprise absurde. Plier des bouts de papier, quoi de plus dérisoire, de plus inutile, de plus infantile ; il lui fallut sitôt arrêter.
Commenter  J’apprécie          90
MODE

Comment avait-il pu attendre ainsi, de jour en jour plus piégé par le cercle vicieux de la culpabilité et du doute ? Il avait attendu comme l’on attend que passe l’orage, les mains plaquées contre les oreilles pour dévier la foudre, l’esprit réfugié dans l’après déluge, quand les choses, rincées, épurées, brilleraient d’un nouvel éclat. Cet orage-là, pourtant était particulier. Il lessivait les certitudes et abattait les espoirs et ne cesserait qu’une fois foudroyée celle qui le défiait, debout au milieu des bourrasques, qui résistait encore après que tout lui eut été arraché. Jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, se laisse emporter par le désespoir.

Quand Mously avait appelé, il regardait les images striées noir et blanc du petit poste du cousin. Et dès que sa mère l’eut dit, il pensa : elle n’avait qu’à pas tant m’aimer. Il ne le dit pas mais le pensa et le crut et refusa dès lors de savoir comment elle s’était suicidée, même lorsque Mously insista. Un petit coq arrogant, repu de l’amertume de toute sa mauvaise foi, qui devinait déjà qu’il ne pourrait jamais retourner, la tête haute, là où il était né. Le père d’Houria l’avait promis à Mously : si ton fils revient, je le tue. Même avec précautions, il serait repéré. Les voisins avaient prévenu sa mère : ils dénonceraient le criminel.
Commenter  J’apprécie          90
Il faut l'empathie, ce ciment précieux de toute congrégation humaine, cette empathie que capitalisme et technologies mettent en conserve aujourd'hui à des fins d'exploitation. Et finiront par l'epuiser comme la plupart des ressources.
Commenter  J’apprécie          90
En France, on gueulait pour défendre ses privilèges mais non l’idéal d’une vie meilleure, où meilleure ne signifierait pas « plus confortable » mais « plus intègre »!
Commenter  J’apprécie          60
HOPE
Je voudrais connaître des autres ce dont eux ne parlent jamais. Leur profession, leur vie de famille, leur emploi du temps m’indiffèrent. Je voudrais savoir en revanche non pas comment ils gagnent leur vie et en compagnie de qui, mais comment ils cohabitent avec les pensées tout à trac qui fusent et fusionnent en permanence dans leur esprit. Comment démêlent-ils le vrai du faux dans ce fatras de suppositions ? Ont-ils une méthode, un truc ? Suivent-ils une intuition, une logique, un avis ? Mais analyser ce processus semble révéler de ma part une curiosité incorrecte …Quand je pense pourtant à la labilité des critères que nous donnons pour évaluer notre réalité, j’en ai le vertige … Comme au théâtre, comme au cinéma, l’évènement marque quand il est porté au-devant de la scène. L’araignée tisse un cocon digestif autour de sa proie ; l’esprit isole l’acte inattendu ou inhabituel pour déployer, autour de lui, un réseau de significations dans l’espoir de l’admettre. Mais l’acte quel qu’il soit n’est que mouvement éphémère dans la succession des gesticulations du monde.
Commenter  J’apprécie          50
MODE

D’abord il voulut faire ce tri comme l’on procède à tout tri, en se basant sur ces critères. Sauf qu’il n’avait pas idée des critères à appliquer, ceux dont se servaient les éditeurs. Quand il songeait à certains, il doutait très vite de leur pertinence. D’autant que lorsqu’un poème ne répondait pas au critère énoncé, Modé trouvait à ce fait une explication tout à fait valable qui le dissuadait de le disqualifier.

Ses poèmes lui déplaisaient par leur amateurisme mais il les aimait tous parce qu’il formait un tout, une suite, à travers leurs formes, une espèce d’histoire syncopée de ses confrontations et démêlés avec le langage. Il finit par recourir au plus élémentaire des modes de tri : le tirage au sort. Faisant défiler les pages des cahiers sous son pouce, il s’arrêtait au hasard pour recopier chaque poème ainsi élu. Il en choisit une trentaine puis se rendit chez les Pakistanais de la rue de Belleville, dans l’une des boutiques où l’on pouvait encore louer, au quart d’heure, une bonne vieille bécane volumineuse et ronflante sur laquelle il tapa les poèmes qu’il fit ensuite imprimer en plusieurs exemplaires. Il sélectionna une dizaine de maisons d’édition de poésie auxquelles il envoya les enveloppes kraft remplies. Dès lors qu’il les eut glissées dans la boîte, il se promit d’oublier tout aussi vite le dangereux hameçon qu’il venait de lancer vers le large. Si tous refusaient sa camelote, il s’en remettrait difficilement.
Commenter  J’apprécie          30
Après avoir monnayé des plantes et des minéraux, des animaux et des êtres humains, des murs et des mécaniques, des courants et des pronostics, des mots, des sons, des images, on monnayait un geste minuscule, la pression d'un pouce ou d'un index sur une surface sensible. Un clic.
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (184) Voir plus



    Quiz Voir plus

    L'écologiste mystère

    Quel mot concerne à la fois le métro, le papier, les arbres et les galères ?

    voile
    branche
    rame
    bois

    11 questions
    255 lecteurs ont répondu
    Thèmes : écologie , developpement durable , Consommation durable , protection de la nature , protection animale , protection de l'environnement , pédagogie , mers et océansCréer un quiz sur ce livre

    {* *}