Avant de dormir, alors que Maman remontait la couverture sous mon menton, elle me demanda :
« Qu’as-tu appris aujourd’hui ? Il faut apprendre quelque chose chaque jour. C’est pour cela qu’on est vivants : pour apprendre encore et encore, les couleurs, les plantes, les animaux, les saisons, les sentiments… »
« Parfois, les adultes se trompent, ils se rendent compte que les enfants ont raison, bien plus raison qu’eux. Ça arrive plus souvent qu’on ne le pense. »
Et puis je sentais encore la drôle de lourdeur dans l’air, comme si l’orage allait tomber mais ne tombait pas… Je n’avais pas les mots pour l’exprimer. Je me sentais étrange, pas tout à fait en colère, pas tout à fait triste, pas tout à fait anxieux, non. Un mélange de tout cela.
J’avais une odeur d’épinard dans la bouche et le cœur qui s’agitait à toute vitesse dans ma poitrine. Les adultes n’étaient pas censés pleurer. Dans un monde non détraqué, les adultes ne pleuraient pas.
Les adultes marchaient toujours trop vite en promenade. Ils fonçaient tout droit sans rien regarder. Ils ne faisaient pas d’arrêt devant les racines en forme de serpent pour s’interroger : était-ce un boa ou plutôt un anaconda ?
Ils ne s’agenouillaient pas devant deux gendarmes reliés dos à dos en se demandant lequel pouvait bien être le mâle et lequel la femelle et surtout, surtout, pour essayer de deviner combien ils auraient d’enfants.
Et puis ils ne cherchaient pas à ramener à la maison la plus belle feuille d’arbre ou le caillou le plus doux. Ils marchaient comme ça, les mains dans les poches, la tête dans les soucis et de temps en temps ils se retournaient en soupirant :
« Allez, Arthur, dépêche-toi un peu. »
C’était ça, être parent. Ne plus avoir le droit de faillir. Ne plus avoir le droit de disparaître. Jamais. Craindre pour sa vie, pour la première fois peut-être. Vivre pour autre chose que soi, pour quelque chose de grand, d’immense qui nous dépassera toujours. Qui nous illuminera toujours.
Cet été-là, maman voulut vivre dix étés en un. Elle s'épuisa et nous épuisa avec elle. Ce fut aussi l'été le plus merveilleux de ma vie.
Vingt-trois ans après, il le reste.
J'avais une odeur d'épinard dans la bouche et le cœur qui s'agitait à toute vitesse dans ma poitrine. Les adultes n'étaient pas censés pleurer. Dans un monde non détraqué, les adultes ne pleuraient pas.
Parfois le bonheur, c’est juste être assis sur une butte tous les trois.
Ce n’est que plus tard, en grandissant, en me remémorant le souvenir de ces dernières vacances tous les trois, que je réaliserais que je lui avais aussi cabossé le cœur. Comme seuls les enfants peuvent le faire. Avec la maladresse et la cruauté de leur innocence.