Le banquet des affamés

Dans les beaux quartiers, on cuisinait du filet de pachyderme, des tranches de trompe, du zèbre, du cerf du Bengale, de l'antilope à des prix avoisinants .... 40 francs la livre ! Une fortune. Plus un chien ne rodait dans les rues, plus un chat ne miaulait à la nuit tombée. Il faut dire qu'on trouvait pour bien moins cher du rat, du cochon d'Inde à l'étal de la boucherie canine et féline près de la barrière de la Villette.

Les duels entre individus ne font exceptionnellement plus d'un mort. Il est rare qu'on s'embroche de conserve. Seuls les empereurs et les rois ont ce privilège extravagant de pouvoir répandre le sang de populations entières pour vider leurs querelles privées.

Les duels entre individus ne font qu'exceptionnellement plus d'un mort. Il est rare qu'on s'embroche de conserve. Seuls les empereurs et les rois ont ce privilège extravagant de pouvoir répandre le sang de populations entières pour vider leurs querelles privées.

Je ne réclame de vous mes frères qu'une petite place derrière la première barricade que vous élèverez pour défendre la République, je ne réclame que la gloire de mourir en combattant pour elle

J'avais transféré ma rédaction dans l'arrière-salle de la Rotonde, un café fréquenté par les typographes de la place qui venaient s'accouder au zinc pour soigner la maladie du plomb. Leur sens inné de la contestation, allié à l'ironie mordante avec laquelle ils filtraient les aléas du quotidien, me prémunissait contre les ravages de l'âge.

Ce n'est pas tout de ne pas brûler les gens : on brûle avec la plume; et ce feu est d'autant plus cruel que son effet passe aux générations futures.

Au moment de prendre congé, si je me tourne vers le passé,
je suis incapable de choisir, dans ce roman qu’a été ma vie, le chapitre que je placerais en tête du volume. Je ne retrancherais rien de ce que j’ai vécu ni de ce qu’on m’a fait subir. Non. Je suis la somme de tous ceux dont j’ai, à distance, l’impression d’avoir endossé le costume. Je me reconnais en tous.
Novice sur le pont noir de La Belle Poule, zouave d’opérette devant Sébastopol, soldat bafoué en Algérie, comédien et pourquoi pas saltimbanque, fossoyeur de l’Empire, colonel des Turcos de la Commune, compagnon de Louise Michel et metteur en scène de ses oeuvres, laissé pour mort sur la barricade du Château d’Eau, estropié sans pension, condamné à mort, déporté en Calédonie, inventeur du théâtre déshabillé, directeur des Bouffes du Nord, gargotier, fondateur de journaux, orateur, dresseur de lions édentés, prétendant à la députation, buraliste en désespoir de cause, mari fidèle et père aimant

Du côté des pauvres, on produit peu de ces oeuvres de l'esprit qui sont les filles du loisir.

Le père Montrouzier s’est fait remettre à sa place quand il a voulu accompagner l’agonie du jeune Gustave Maroteau, le journaliste du Salut public, emporté par la tuberculose avant ses 25 ans. Ce compagnon n’avait jamais porté d’arme. Condamné à mort en punition d’un article, payant de son sang l’encre qui avait séché sur le papier. Je me souvenais qu’il écrivait que l’ouvrier passe son temps à clouer son cercueil, le paysan à creuser sa fosse, tandis que la femme s’use les doigts à coudre le linceul.

L'opinion publique avait eu son content de sang, elle aspirait à lire le journal, le matin, en trempant ses tartines dans un liquide d'une autre couleur.