Cringeworthy

+++++++ GÊNANT +++++++

Melissa Dahl dans son premier ouvrage décrit quelques situations gênantes dans lesquelles beaucoup d'entre nous se sont peut-être également trouvés. le sous-titre "A Theory of Awkwardness" donne en Français : une théorie sur la maladresse. En ma langue cet ouvrage a été traduit par "Tout le monde me regarde" que la photo de couverture du môme sur l'édition originale illustre superbement. La photo de la couverture de la version italienne "Che figura !" est aussi très explicite et conforme à l'esprit de l'auteure.

Un petit exemple pour illustrer une situation embarrassante classique : après avoir pris amplement congé d'une vague connaissance, vous vous rendez compte ... que vous vous dirigez apparemment vers le même endroit, un parking souterrain par exemple. Qu'est-ce que vous faites, à part échanger des sourires gênés ?
Autre petit exemple : dans la grande glace d'un magasin, tout à coup tu vois que tu as un morceau de brocoli entre les dents et tu penses à toutes les personnes à qui tu viens d'adresser la parole !
Dernier exemple : tu es en train de t'informer auprès d'un ami sur la situation de santé de sa fille malade, lorsque tu ne réussis absolument pas à te souvenir de son prénom, que tu as pourtant sur le bout de la langue !

En y réfléchissant une seconde, je suis persuadé que vous trouverez des exemples survenus dans votre propre existence et qu'il ne vous faudra pour cela pas remonter à votre prime enfance.

Melissa Dahl, née en 1985, est une journaliste scientifique américaine, spécialisée dans le domaine de la santé et de la psychologie et, en tant que telle, elle a voulu en terminer une fois pour toutes avec ce phénomène de se sentir incommodé dans certaines situations. Cela a été l'origine de cet ouvrage de plus de 300 pages, qui aux États-Unis et en Angleterre a été un best-seller. Outre-Manche, cet ouvrage a fait l'objet de nombreuses controverses dans des blogs et sur les réseaux sociaux. Je suis tenté d'ajouter, comme le Brexit, mais cela serait légèrement exagéré de ma part, surtout maintenant qu'ils ont Boris Johnson pour tout régler à l'amiable.

En l'absence d'une monographie sérieuse sur le sujet, pendant 2 années complètes, elle s'est renseignée auprès d'un grand nombre de personnes afin de cerner ce phénomène étrange et de trouver une explication pour la différence de réactions des personnes se trouvant dans de telles situations. S'il y a effectivement des différences de réactions, pratiquement personne n'y échappe cependant. Selon Melissa Dahl l'explication réside dans notre peur de rejet social. En sortant une grosse bêtise on craint avoir offensé quelqu'un pour qui nous n'existons désormais plus.

Ce sentiment de vouloir rentrer sous terre de gêne ("to cringe") est aussi lié à la réalité que le monde ne te voit pas comme tu te vois toi-même. La journaliste belge (de Knack/LeVif Express) Trui Engels cite le cas de quelqu'un qui bute bêtement contre des portes en verre fermées. Tout de suite, il réalise que non seulement il s'est rendu ridicule, mais qu'en plus l'image qu'il a de lui-même a pris un fichu coup dans les yeux de ceux qui l'ont vu buter.

En règle générale, nous avons tous une image de nous-mêmes qui diffère de l'image que les autres ont de nous. Faites le test en montrant des photos de vous à un groupe d'amis et écoutez les jugements. Des photos que vous trouvez loupées sont celles que vos amis vont qualifier de réussies, intéressantes, réalistes etc. Dans le même ordre d'idées, qui n'a pas été étonné par sa propre voix la première fois qu'il l'a entendue sur un magnéto ?

Pour revenir sur le gêne, il fait partie intégrante de notre développement et il est important de le reconnaître comme tel et de l'accepter. En l'acceptant, selon Melissa Dahl, nous arriverons à une meilleure connaissance de nous-mêmes et nous pourrons introduire des améliorations dans notre attitude et comportement. Plutôt de rejeter une situation embarrassante, il est préférable d'analyser comment elle peut nous être utile.

L'analyse du philosophe d'origine suisse, Alain de Botton, va tout à fait dans le même sens. Il va même plus loin lorsqu'il affirme que si nous ne nous sentons pas gênés régulièrement de la personne que nous sommes, notre voyage vers la connaissance de soi n'a même pas encore commencé.

L'auteure note aussi notre tendance à exagérer la réaction des autres. Les autres ont leurs problèmes et n'accordent pas l'attention que vous pensez qu'ils accordent à vos petites mésaventures. Parfois la réaction des autres est, au contraire, positive. Lorsque vous butez contre des portes en verre, plutôt de vous considérer un idiot, il y a celles et ceux qui se précipitent pour vous aider à vous relever et s'informent si vous n'avez pas trop mal.

Finalement, notre jeune psychologue a absolument raison lorsqu'elle conclut que dans une situation embarrassante l'humour est de loin la meilleure solution. Un brin d'autodérision transforme la gêne initiale en force.

La prochaine fois que vous aurez des problèmes avec les lois de la gravitation par exemple et que vous trébuchez ou que vous faites un mauvais pas, pensez à la grimace de la gamine sur la photo de couverture de l'ouvrage de Melissa Dahl et essayez de vous en sortir avec une pirouette marrante.