Parce qu'il n'y a qu'au sein des familles que l'on se fait ce que l'on ne se permettrait jamais avec des inconnus, ces choses terribles et cruelles, insensées et innommables, qui vous laissent pantelants et démembrés. p. 28
Je glandais chez nous, comme tous les samedis, quand mes vieux ont foutu le camp, lui à trimer pareil à un esclave dans son garage de merde et l’autre là, ma mère à briquer les ménages et à se faire reluquer le cul par des vieux qu’ont plus la force de se tripoter. Y avait rien à la télé que des dessins animés niaiseux pour enfants qui ne verront jamais la crasse, rien dans le putain de frigo à part de la bière et de la crème contre les vergetures, le chat avait foutu le camp que je ne pouvais même pas m’amuser à lui jeter des boîtes de conserve et lui brûler les moustaches, je glandais, je glandais comme une pomme qui attend de tomber d’un arbre et que ça dure et que ça va durer encore et qu’à la fin t’en peux plus.
Je ne sais plus si c’est après que Maman a giflé tante Simone que Grand-mère a cassé la carafe de vin ou lorsque oncle André a crié qu’il avait eu raison, Louis, de prendre ses jambes à son cou même s’il l’avait payé assez cher, parce que vivre au milieu de ces bigotes bourgeoises, cela vous faisait passer toutes les envies, surtout celle de vivre. Après, tout s’est passé très vite, Tante Simone a mordu Maman, Grand-mère a pleuré, tante Josée s’est cramponnée aux rideaux du grand salon et oncle André s’est enfermé dans le boudoir. J’ai attrapé le dentier de Grand-mère et je l’ai balancé sous la table. Il fallait bien que j’aie un mouvement d’humeur, moi aussi. Heureusement que Maman ne m’a pas vu. Ce qu’elle déteste par-dessus tout, c’est le manque de respect, surtout vis-à-vis d’une personne plus âgée. Je suis sûr qu’elle aurait arrêté sa guerre pour me filer une raclée qui m’aurait fait passer l’envie de recommencer. Chez les Zapatti, on a toujours tenu aux bonnes manières.