Les gens qui ne lisent pas ignorent l'exaltation que l'on peut ressentir dans une librairie. Ils n'ont pas idée qu'un commerce aussi calme, où vendeurs et acheteurs sont chacun de leur côté, puisse être autre chose qu'ennuyeux. Tant mieux, ils ne se rendent pas compte que c'est un endroit très dangereux pour l'opinion qu'ils se font de leur importance. Dans les librairies, on comprend que les rois de jadis aient eu les plus grandes hésitations à autoriser l'imprimerie. Des gens qui, seuls avec un autre, pensent sans contrôle! Ces clients qui ont l'air si calmes, si recueillis, des girafes broutant lentement des feuilles, sont des boules de passion à l'intérieur desquelles ça bout, ça bondit, ça bande!
La lecture est cet instant d'éternité simultanément ressenti par quelques solitaires dans l'espace immatériel un peu bizarre qu'on pourrait appeler l'esprit.
On ne lit pas pour le livre, on lit pour soi. Il n'y a pas plus égoïste qu'un lecteur.
“On lit pour comprendre le monde, on lit pour se comprendre soi-même. Si on est un peu généreux, il arrive qu’on lise pour comprendre l’auteur. Je crois que cela n’arrive qu’aux grands lecteurs, une fois qu’ils ont assouvis leurs deux premiers besoins, la compréhension du monde et la compréhension d’eux-mêmes. Lire fait chanter les momies, mais on ne lit pas pour cela. On ne lit pas pour le livre, on lit pour soi. Il n’y a pas plus égoïste qu’un lecteur.”
De toutes les phrases qu'à écrites un auteur, celui-ci sera sauvé si un lecteur en retient une, une seule, qui contiendra toutes les autres dans sa mémoire et l'aidera à entretenir un intérêt, une affection, une possibilité de relecture.
"Quand on lit, on tue le temps. Pas dans le sens "passer le temps", ça c'est quand on lit en bâillant pour vaguement occuper un après-midi à la campagne, non, mais quand on fait une lecture sérieuse, une lecture où on est absorbé par le livre. Elle donne l'impression que le temps n'existe plus. [...] et voilà pourquoi les grands lecteurs ont le sentiment d'être toujours jeunes. Ils n'ont pas été usés de la même façon par un emploi du temps, c'est-à-dire un temps employé à autre chose qu'à obéir au sens commun. [...] Chaque nouvelle lecture a été une plongée dans un bain frais, un moment où on a, pas tout à fait illusoirement, vaincu le temps."
- L'Invisible corps de ballet-
Les livres ne sont pas seulement des objets remplis de quelque chose que nous chercherions avec une voracité distraite. David Grossman (Dans la peau de Gisela, 2008) parle des "livres qui l'ont lu". Il doit y avoir de ça. Les lecteurs sont la proie des livres. (Livre de Poche, 2011, p.29)
Oui, on lit par protestation contre la vie. La vie est très mal faite. On y rencontre sans arrêt des gens inutiles. Elle est pleine de redites. Ses paysages sont interminables. Si elle se présentait chez un éditeur, la vie serait refusée.
On ne lit pas un livre pour une histoire, on lit un livre pour danser avec son auteur. (p. 46)
“La lecture n’est pas contre la vie. Elle est la vie.[…] Elle maintient, dans l’utilitarisme du monde, du détachement en faveur de la pensée. Lire ne sert à rien. C’est bien pour cela que c’est une grande chose. Nous lisons parce que cela ne sert à rien. Quand on pense qu’on peur réussir une carrière dans le CAC40 sans avoir jamais rien lu de sa vie ! C’est pourquoi il faut être gentil envers les puissants qui lisent. Ils pourraient faire autre chose. ”